[c. 10 March 1754]
Vous sçavés mieux que moy, Monsieur, qu'il n'y a point en France de ministère de la littérature.
M. le chancelier est chargé de la librairie, c'est à dire que c'est sur son attache que se donnent les privilèges des permissions d'imprimer. Il m'a confié ce détail non point pour y décider arbitrairement mais pour luy rendre compte de tous les ordres que je donnerois. Ce n'est ny une charge ny même une commission, c'est une pure marque de confiance dont il n'existe ny provisions ny brevet et que je tiens uniquement de sa volonté. Ainsi vous voyés combien on vous a mal informé en vous mandant que ce n'estoit point m. le chancelier mais moy seul qui avois le ministère de la littérature. C'est aussi m. le chancelier qui est chargé de tout ce qui concerne les universités, c'est lui qui nomme aux places d'imprimeurs dans tout le royaume, et ce sont différens maîtres des requestes qui sont chargés de luy rendre compte des affaires qui concernent ces deux objets. Vous sçavés aussi que les académies et la bibliothèque du roy sont dans le département de m. d'Argenson, les académies de provinces dans celuy des autres secrétaires d'état &c. Je vous rappelle des choses que vous ne pouvés pas ignorer mais qui doivent cependant vous faire connoitre combien mon prétendu ministère de la littérature est borné. Ajoutés à cela que par mon état je ne suis point à portée d'approcher de la personne du roy assés fréquemment ny assés librement pour luy parler de mon propre mouvement d'une affaire dont il ne m'a point ordonné de luy rendre compte. Par la même raison de mon état je ne vois que fort rarement mde de Pompadour. Cela posé, que peux je faire pour vous rendre cette justice que vous désirés avec tant d'ardeur?
Je suis prest à certifier non seulement aux personnes constituées en dignité, mais à quiconque voudra le sçavoir, que vous ne m'avés demandé pour votre histoire universelle aucune permission publique ny tacite, directe ny indirecte, que vous avés même fait des démarches auprès de moy tant par vous que par mde Denis pour en empêcher le débit, démarches très inutiles à la vérité parce que cela ne me regarde point et que quand je n'ay point permis un livre je ne me mesle pas du débit illicite qui peut s'en faire, c'est l'affaire de la police. Je peux dire de plus que j'ay lieu de croire d'après des lettres que j'ay vues que le libraire Neaulme ne tient point le manuscrit de vous directement; mais quand j'auray dit tout cela, vous n'en serés pas plus avancé. Ceux qui sont portés à croire malgré vos plaintes authentiques que le manuscrit a esté imprimé de votre consentement ne trouveront dans tout ce que je pourray leur dire rien de capable de les détromper. D'ailleurs je ne sçais pas si vous faites trop bien de toucher cette corde là. Vous parlés des impressions fâcheuses qu'on a données au roy sur vous à l'occasion de cette édition. Je ne sçais pas si le roy s'en occupe autant que vous le croyés, tout ce que je sçais, c'est que j'ay parlé de vous dans une lettre à mon père qui ne sçavoit seulement pas si on vous accusoit ou non d'avoir donné les mains à cette édition de Hollande, aussi m'a t'il chargé de vous faire résponse de sa part par ce qu'il n'est point au fait de votre affaire. Peutêtre en est il de même d'autres ministres auprès desquels vos fréquentes apologies vous font sûrement plus de tort que de bien. Vous pouvés avoir de meilleurs conseils que les miens par des gens mieux informés que je ne le suis. Pour moy je ne peux vous en donner qu'un seul, c'est de vous tenir tranquille, et de prendre garde surtout qu'à l'occasion de vos justifications sur l'histoire universelle, on n'aille vous attaquer sur les annales de l'empire que vous ne pouvés pas désavouer. Lors que ces deux livres auront fait tout leur effet dans le public les amis puissans que vous avés à la cour trouveront peutêtre un moment favorable pour parler de vous, mais jusques là ne vous suscités point de nouvelles affaires en attirant sur vous par vos plaintes continuelles les yeux du roy et du ministère.
J'ay l'honneur de vous envoyer une lettre pour vous qui est arrivée sous l'addresse de m. de la Reyniere.