1760-10-16, de Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je viens de recevoir, Monsieur, une seconde lettre que vous m'avés fait l'honneur de m'écrire dans l'incertitude que le première me parvint.
Je me suis conformé aux ordres de mgr le dauphin en refusant de donner aucune permission expresse et en recommandant qu'on empêchât autant qu'on pourroit la publicité du débit de façon qu'on sçache que l'ouvrage n'a pas l'attache du gouvernement de France. C'est tout ce qu'on peut faire puis que le livre est àprésent entre les mains de tout le monde. J'ay cru aussi ne me point écarter des ordres que vous m'avés fait passer en mandant qu'on tolérât le débit qui se feroit sans éclat de quelques exemplaires de l'édition de Genève^parceque l'ouvrage paroissant, il ne seroit pas juste de refuser aux gens de lettres une édition dans laquelle ils trouveront une carthe de Russie qui manque à l'édition contrefaite.

J'ay donné ces différens ordres de la part de m. le chancelier et d'après l'examen personnel qu'il a fait du livre sans parler des ordres que j'ay reçus de mgr le dauphin. Je crois que c'estoit aussi votre intention.

Aufond quand je n'aurois pas reçu ces ordres et quand il n'y auroit eu aucun trait offensant pour la mémoire du feu roy de Pologne électeur, j'aurois toujours refusé la permission, à cause de la liberté avec la quelle l'auteur parle de la religion en général sous prétexte de parler des schismatiques de Russie.

Pour ce qui est de la magnifique approbation donnée à l'histoire de Charles 12 par le roy de Pologne, duc de Lorraine, je vous avoueray que rien au monde ne m'a plus étonné et que je ne conçois pas la familiarité avec la quelle nos beaux esprits parlent aujourd'huy des testes couronnées, les mettent en jeu et les font intervenir dans leurs querelles.

J'estois bien persuadé que la reine en estoit très fâchée. Je crains mème qu'elle n'en sçache mauvais gré à m. de Tressan, mais il estoit très embarassant de sçavoir sur cela ses intentions par ce qu'on ne pouvoit pas luy demander si elle désavouerait un ouvrage avoué authentiquement par le roy son père.