1748-08-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas René Berryer de Ravenoville.

Monsieur,

J'aprends en arrivant à Paris que le public reçoit avec quelque indulgence une tragédie d'un goust un peu nouvau que vous honorez de vos bontez.
Des pièces de théâtre qui respirent la vertu sont par là, une partie de la police digne de votre attention.

Je vous suplie de vouloir bien ordonner que deux exempts soient sur le téâtre pour faire ranger une foule de jeunes Français qui ne sont guères faits pour se rencontrer avec des Babyloniens. Je vous prie aussi monsieur de vouloir bien permettre qu'on récite quelques vers que M. de Crebillon a retranchez et qui sont absolument nécessaires. Je vous en fais juge. Si Le personnage chargé de ces vers ne les débite pas, Semiramis qui luy réplique ne répond plus convenablement, et cette disparatte gâte un endroit essentiel à l'ouvrage. Vous trouverez cy joint les vers en question, je vous prie de me les renvoyer aprouvez de votre main, afin que L'acteur puisse les réciter. Je vous demande bien pardon de ces bagatelles mais vous entrez dans les petites choses comme dans les grandes.

Au reste le magazin des livres prohibez dont j'avois eu l'honneur de vous parler, est à Paris; il y en a deux mille exemplaires au nombre de vingt quatre mille volumes. J'auray bientôt des lumières sur cette contravention que j'auray l'honneur de vous communiquer. J'ay celuy d'être avec une respectueuse reconnaissance,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Voltaire

Dans la tragédie de Semiramis

acte second

ASSUR

Je suis épouvanté, mais c'est de vos remords,
Les vainqueurs des vivants redoutent ils les morts?
Ah ne vous formez plus de craintes inutiles,
C'est par la fermeté qu'on rend les dieux faciles
etc.

SEMIRAMIS

. . . . . . . . . . . . . . . .
Croyez moy les remords à vos yeux méprisables
Sont la seule vertu qui reste à des coupables
etc.