1760-12-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Mon cher correspondant voicy quelques petits rafraichissements en attendant encor quelques gouttes de pluye aux ètrennes.

Mais aussi il faudra nous fournir une vingtaine de mille livres tournois pour le grave auditeur des Franches, plus solide que le géant Pictet.

Les jésuittes, comme savez, en ont dans le cu! Il ne s'agit plus que de quelques arrangements mais ils en ont dans le cu, vous di-je; et ils seront obligez de le montrer. Laissez moy faire, ils n'auront pas dans deux ans un frère coupechou dans le pays.

Vous pouriez mon cher ami adresser par la poste à mr Galatin, surintendant des postes de Geneve, le factum de l'ingénieux primat des Gaules contre le fanatique évêque de Lutece, avec prière de me prêter cet exemplaire pr le lire. Sinon, vous pouriez l'envoyer au correspondant Cathala par la messagerie.

Pour melle Chimene ou Rodogune, quand elle viendra je la recommande à vos bontez. Je vous remercie tendrement mon cher ami de vos soins officieux. Si les Délices sont bien jolies, Ferney a son mérite. Tout est bientôt dans son cadre et le cadre est cher. Je vous l'ay dit. Il vous en coûtera cent mille francs de la st Jean 1660, à la st Jean 1661. En conscience je ne puis faire les choses à moins en comptant les des Franches, les Pictets et les frères jésuittes. Que voulez vous? Il m'en restera assez. Mes nièces sont bien pourvues, nous avons de bonnes maisons bien meublées, d'assez grosses rentes. Nous naissons tout nus, on nous enterre avec un méchant drap qui ne vaut pas quatre sous. Qu'avons nous de mieux à faire qu'à nous réjouir dans nos œuvres pendant les deux moments que nous rampons sur ce globe ou globule. Interim ride, et vale.

V.