1761-01-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Mon cher correspondant, bénis soient les vents du midy qui ont repoussé la flotte britannique.
Maudits soient les gens qui laissent prendre Ponticheri. Mais que fait on de nos annuitez, de nos billets de lotterie, de nos tontines?

Oserais-je vous importuner d'un petit résumé que je fais dans ma tête? J'ay tort de ne pas tenir un registre de ce que je prends chez vous, et de ce que je vous envoye. Mais vous êtes le seul avec le quel j'en use ainsi, puis que vous avez la bonté d'être mon registre. Je compte que j'avais chez vous indépendemment des malheureux effets royaux, environ 245000 tournois à la st Jean Batiste 1760, et qu'en comptant les 15000lt que vous prêtez à mr de Chapau Rouge, et que je défalque dès àprésent; en compensant vos envois et les dépenses dont vous avez daigné vous charger, par les petits rafraichissements que je vous ay envoyez, s'il vous reste ès mains 200000lt pr votre serviteur, c'est tout le bout du monde. Je vous supplie de me dire si je me trompe de beaucoup. Cela m'est important parce qu'il faut être sage, parce que je bâtis une église, et que made Denis et la cousine de Chimene veulent un téâtre, parce que mes fardeaux se multiplient et que mes forces diminuent.

Voulez vous bien donner cours à l'incluse?

On s'y est bien mal prix pour faire votre frère François sindic. On devait savoir que le noir du Pan partagerait les voix; donc il ne fallait pas encor partager les voix opposées et se mettre trois ou quatre contre luy. Il fallait que les compétiteurs cédassent à François qui combatant seul aurait réuni la majorité en sa faveur; et François et la tronchinerie auraient à la première occasion donné tout leur parti à ceux qui cette fois luy auraient donné le leur. Mais quand chacun tire à soy on n'attrappe rien. Voilà mon avis. Vous pouvez en faire part à François si vous le trouvez bon. C'était ainsi qu'on en usait dans l'ancienne Rome qui ressemble à Geneve comme deux gouttes d'eau. Oncle, nièce, Chimene, tout vous aime, tout vous embrasse.

V.