1754-12-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Sébastien Dupont.

Vous êtes aussi essentiel qu'aimable, mon cher ami.
Je vous parlerai d'affaires aujourdui. J'ay laissé cinq caisses entre les mains de Turkeim de Colmar, frère du Turkeim de Strasbourg. Je luy ay mandé il y a un mois de les faire partir et je n'ay point eu de ses nouvelles. C'est l'affaire des messagers me dira t'on, ce n'est pas celle d'un avocat éloquent et philosofe. J'en conviens, mais ce sera celle d'un ami. Je vous demande en grâce de parler ou de faire parler à ce Turkeim. Ces caisses contiennent les livres et les habits de madame Denis et les miens; et nous ne pouvons nous passer ny d'habits ny de livres. Nous sommes venus passer l'hiver dans un beau château où il n'y a rien de tout cela, et nous comptions trouver nos caisses à notre arrivée. J'ay donné au sr Turkeim les instructions nécessaires; je n'ay pas même oublié de luy recommander de payer les droits en cas qu'on en doive pour 18 livres de caffé qui sont dans une des caisses. Je l'ay prié de se munir d'une recommandation de m. Hermani pour le bureau qui est près de Bale. Je n'ay rien négligé, et je n'en suis pas plus avancé. Il semble que mes ballots soient à la Chine, et Turkeim aussi. Mais vous êtes à Colmar, et j'espère en vous. J'ay écrit deux fois en dernier lieu à ce Turkeim par madame Goll mais pendant ce temps là elle était occupée du départ de son cher mari pour l'autre monde et elle aura pu fort bien oublier de faire rendre mes lettres. Je m'imagine qu'elle ira pleurer son cher Goll à Lauzanne, et que madame de Klinglin n'aura plus de rivale à Colmar.

Je n'ay point encor vu mr de Brenles mais il viendra bientôt je crois nous voir dans notre belle retraitte. Nous nous entretiendrons de vous et du révérend père Croust pour peu que Mr de Brenles aime les contrastes. Je resterai icy jusqu'à la saison des eaux. Je n'ay pas trouvé dans le pays de Vaud le brillant et le fracas de Lyon mais j'y ai trouvé les mêmes bontez. Les deux seigneurs de la régence de Berne m'ont fait tout deux l'honneur de m'écrire, et de m'assurer de la bienveillance du gouvernement. Il ne me manque que mes caisses. Permettez donc que je vous envoye le billet de dépost du dit Turkeim: le voicy. Je luy écris encore. Je me recommande à vos bontez.

N. B. qu'il doit envoyer ces cinq caisses par Bâle à mr de Ribaupiere, avocat à Nyon, pays de Vaud. J'aimerais mieux vous parler de Ciceron et de Virgile, mais les caisses l'emportent. Adieu, je vous demande pardon et je vous embrasse.

V.