Des bords du lac, 26 février [1755]
Quelle lubie vous a pris, monsieur le duc!
Je ne parle pas d'être philosophe à la cour, c'est un effort de sagesse dont votre esprit est très capable. Je ne parle pas d'embellir Montrouge comme Champs: vous êtes très digne de bien nipper deux maîtresses à la fois. Je parle de la lubie de daigner relancer du sein de vos plaisirs un ermite des bords du lac de Genève, et de vous imaginer que
C'est assurément par charité pure que vous me faites des propositions. Quel besoin pourriez vous avoir des réflexions d'un suisse, dans la vie charmante que vous menez?
Tout ce que je peux faire, c'est de vous imiter très humblement et de très loin; non pas en rois, non pas en filles, mais dans l'amour de la retraite. Je saluerai, de ma cabane des Alpes, vos palais de Champs et de Montrouge; je parlerai de vos bontés à ce grand lac de Genève que je vois de mes fenêtres, à ce Rhône qui baigne les murs de mon jardin; je dirai à nos grosses truites que j'ai été aimé de celui à qui on a donné le nom de Brochet que portait le grand protecteur de Voiture. Comptez, monsieur le duc, que vous avez rappelé en moi un souvenir bien respectueux et bien tendre. La compagne de ma retraite partage les sentiments que je conserverai pour vous toute ma vie.
Ne comptez pas qu'un pauvre malade comme moi soit toujours en état d'avoir l'honneur de vous écrire.
J'enverrai mon billet de confession à m. l'abbé de Voisenon, évêque de Montrouge.