[March 1758]
Mon cher évêque j'ai été enchanté de votre souvenir & de votre beau mandement israëlite; on ne peut pas mieux demander à boire; c'est dommage que Moïse n'ait donné à boire que de l'eau à ces pauvres gens; mais je me flatte que vous ferez pour pâques prochain au moins une noce de Cana; ce miracle est bien au-dessus de l'autre, & rien ne vous manquera plus quand vous aurez apaisé la soif des buveurs de l'ancien & du nouveau testament.
Franchement votre petit ouvrage est très bien fait & très lyrique. Mondonville doit vous avoir beaucoup d'obligation, & j'ai plus de soif de vous revoir, que vous n'en avez de venir à mes petites Délices. Mais ce n'est pas aux Délices qu'il fallait venir; c'est à Lauzanne; made. Denis y a la même réputation que mlle. Clairont a dans votre pays. Vous seriez assez étonné de voir des pièces nouvelles en Suisse, & mieux jouées en général qu'elles ne le seraient à Paris; c'est à quoi nous avons passé notre hiver pour nous dépiquer du malheur de nos armées. Nous vous aurions très bien logé; nous vous aurions fait manger force gelinottes & de grosses truites: nous vous aurions crevé, & mr. Tronchin vous aurait guéri. Mais vous n'êtes pas un prêtre à faire une mission chez nous autres hérétiques; jamais votre zèle ne sera assez grand pour venir sur notre beau lac de Genève; je vous avertis pourtant qu'il y a de très jolies femmes à convertir dans Lauzanne. Mad. Denis se souvient toujours de vous avec bien de l'amitié, & n'en compte pas sur vous davantage; vous nous écrivez une fois en cinq ans; nous reconnaissons là les mœurs de Paris; encore est ce beaucoup que dans vos dissipations vous vous soyez ressouvenu une fois de vos amis, qui ne vous oublient jamais, & qui savent autant que vos parisiennes combien vous êtes aimable. Nous ne regrettons pas beaucoup de choses; mais nous regrettons toujours le très aimable & très volage évêque de Montrouge.