1756-01-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis Élisabeth de La Vergne, comte de Tressan.

Il me paraît, monsieur, que s. m. polonaise n'est pas le seul homme bienfaisant en Lorraine, et que vous savez bien faire comme bien dire.
Mon cœur est aussi pénétré de votre lettre que mon esprit a été charmé de votre discours. Je prends la liberté d'écrire au roi de Pologne, comme vous me le conseillez, et je me sers de votre nom pour autoriser cette liberté. J'ai l'honneur de vous adresser la lettre; mon cœur l'a dictée.

Je me souviendrai toute ma vie que ce bon prince vint me consoler un quart d'heure dans ma chambre à la Malgrange, à la mort de made du Châtelet. Ses bontés me sont toujours présentes. J'ose compter sur celles de made de Bouflers et de made de Bassompierre. Je me flatte que m. de Lucé ne m'a pas oublié; mais c'est à vous que je dois leur souvenir. Comme il faut toujours espérer, j'espère que j'aurai la force d'aller à Plombières, puisque Toul est sur la route. Vous m'avez écrit à mon château de Monrion: c'est Ragotin qu'on apelle monseigneur; je ne suis point homme à châteaux. Voici ma position; j'avais toujours imaginé que les environs du lac de Genève étaient un lieu très agréable pour un philosophe, et très sain pour un malade; je tiens le lac par les deux bouts, j'ai un ermitage fort joli aux portes de Genève, un autre aux portes de Lausanne. Je passe de l'un à l'autre; je vis dans la tranquilité, l'indépendance et l'aisance avec une nièce qui a de l'esprit et des talents, et qui a consacré sa vie aux restes de la mienne.

Je ne me flatte pas que le gouverneur de Toul vienne jamais manger des truites de notre lac, mais si jamais il avait cette fantaisie nous le recevrions avec transport; nous compterions ce jour parmi les plus beaux jours de notre vie. Vous avez l'air, messieurs les lieutenants généraux, de passer le Rhin cette année plutôt que le mont Jura; et j'ai peur que vous soyez à Hanovre quand je serai à Plombières. Devenez maréchal de France, passez du gouvernement de Toul à celui de Metz, soyez aussi heureux que vous méritez de l'être, faites la guerre, et écrivez là. L'histoire que vous en ferez, vaudra certainement mieux que la rapsodie de la guerre de 1741 qu'on met impudemment sous mon nom. C'est un ramas informe et tout défiguré de mes manuscrits que j'ai laissés entre les mains de m. le comte d'Argenson.

Je vous préviens sur cela parce que j'ambitionne votre estime. J'ai autant d'envie de vous plaire, monsieur, que de vous voir, de vous faire ma cour, de vous dire combien vos bontés me pénètrent. Il n'y a pas d'apparence que j'abandonne mes ermitages et un établissement tout fait dans deux maisons qui conviennent à mon âge, et à mon goût de retraite: je sens que si je pouvais les quitter, ce serait pour vous, après toutes les offres que vous me faites avec tant de bienveillance. Je crois avoir renoncé aux rois, mais non pas à un homme comme vous.

Permettez moi de présenter mes respects à made la comtesse de Tressan, et recevez les tendres et respectueux remerciements du Suisse

Voltaire

Je m'intéresse à Pampan comme malade et comme ami.