à Lyon 2 décembre [1754]
Est il possible que je ne reçoive point de lettres de mon cher ange?
Les bontez qu'on a pour moy à Lyon et l'empressement d'un public de province, baucoup plus entousiasmé que celui de Paris, le premier jour de Mérope, ne guérissent point les maladies dont je suis accablé, ne consolent point mes chagrins et ne guérissent point mes craintes. C'est de vous seul que j'attends du soulagement. On me donne tous les jours des inquiétudes mortelles sur cette mauditte puc…. Il est avéré que Mademoiselle Duthil l'a possède. Elle la tient de feue me du Chastelet qui n'a fini que par des infidélitez. Il n'est que trop vrai que Paquier avait lu le chant de l'âne chez un homme qui tient son exemplaire de Mlle Dutill, et que Tiriot a eu une fois raison. Je me rassurais sur son habitude de parler au hazard. Mais le fait est vrai. Un polisson nommé Chevrier a lu tout l'ouvrage, et enfin il y a lieu de croire qu'il est entre les mains d'un imprimeur, et qu'il paraitra aussi incorrect et aussi funeste que je le craignais. Cependant je ne peux ny rester à Lyon dans de si horribles circomstances, ny aller ailleurs dans un état où je ne peux me remuer.
Je suis accablé de tous côtez dans une vieillesse que les maladies changent en décrépitude et je n'attends de consolation que de vous seul. Je vous demande en grâce de vous informer par vos amis, et par le libraire Lambert de ce qui se passe afin que du moins je sois averti à temps et que je ne finisse pas mes jours avec Talouet. Je vous ai écrit trois fois de Lyon. Votre lettre me sera exactement rendue, je l'attends avec la plus douloureuse impatience et je vous embrasse avec larmes. Vous devez avoir pitié de mon état mon cher ange.
V.