1753-11-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Ma chère enfant les quatre mots que j'ay reçues de vous au bas de la lettre de madame de Fontaine m'auraient guéri si j'étais guérissable.
Jouissez d'une pleine convalescence et je souffriray avec une résignation plus entière.

J'ay commencé à examiner dans mon lit les énormes liasses de papiers que vous m'avez envoyés. Il y a là de quoy rendre son homme encor plus malade. Il s'en faut bien, que je sois en état d'en faire usage. Ma mauditte humeur de goutte me tient par tout. Ah ma chère enfant ayez soin de vous. Quelle vie affreuse que de soufrir sans cesse! On pourait s'imaginer peutêtre qu'après les persécutions et les attentats que nous avons essuiez, être accablé de maux à Colmar n'est pas un état bien agréable, mais vous savez que je sçai soufrir, c'est mon métier. N'allez plus sur mes brisées. Songez à ratrapper bien vite cette santé brillante que vous avez perdue à Francfort. Je n'écris à personne, mais avant mon accez de goute j'écrivisà Cideville pour le remercier de ses propositions quoyqu'elles ne fussent pas uniquement en ma faveur. J'ay écrit aussi aux stes Palays qui ont des intentions plus pures.

Je me flatte que mr Dargental ne va pas à Soissons, il a rempli assez les devoirs de la bienséance.

Je voudrais bien savoir ce que deviennent àprésent les avocats, procureurs, huissiers de la cour de parlement, je m'imagine qu'ils vont faire des pièces de téâtre. Adieu ma très chère enfant, portez vous bien. Je n'en peux plus. Je vous embrasse comme je peux.

V.