1752-03-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à — Le Baillif.

Mon cher camarade je ne peux trop vous redire à quel point je partage L'état douloureux de madame de Tirconnell et touttes vos peines.
Je suis encor affligé de ne vous être bon à rien. Dès que milady poura soufrir la vue de ceux qui luy sont véritablement dévouez et qui mêlent leurs pleurs à ses justes larmes je luy demande la permission de venir me mettre à ses pieds.

Mon cher Darget part demain. Il m'a dit qu'il portait à mr Paquier un exemplaire du siècle de Louis 14, de votre part. Je suis tombé de mon haut. Ce livre n'est point public, je n'en ay donné à personne qu'au roy. Je serais infiniment mortifié que L'édition de Berlin qui est pleine de fautes parût à Paris. Mon cher camarade, je ne puis concevoir comment vous avez eu cet ouvrage, instruisez m'en je vous en suplie, permettez moy d'écrire à mr Darget qu'il ne rende point ce mauvais livre à mr Pasquier. On en fait à Paris une édition moins indigne du sujet et des lecteurs, mr Paquier et mr Formont l'auront des premiers. Les seuls exemplaires de Berlin que j'avais envoyez à Paris étaient uniquement destinez à me valoir des remarques utiles que j'ay obtenues, et sur les quelles j'ay corrigé mes fautes.

Permettez moy de vous prier encor de savoir des nouvelles du gros paquet que j'envoyay par votre courier à M. le maréchal de Richelieu, il y a environ deux mois. Il ne l'a point reçu. Pardon de mes importunitez dans un temps où vous êtes accablé des plus tristes soins. Je sens mon indiscrétion avec une nouvelle douleur. Croyez que je suis encor plus occupé de la perte de mylord Tirconnell que des inquiétudes que je peux avoir pour les deux choses que je recommande à votre amité et à vos bontez.

V.

Mille compliments je vous en prie à mr Macmaon.