à Ferney [c. 6 May 1774]
Si je n'apprenais pas par votre lettre du 29 avril la maladie du roy dans le même moment que je reçois votre lettre du 26, je vous dirais monseigneur que je n'avais pas osé vous excéder d'une platte rapsodie indigne de vos regards occupés alors de canons, et de détails militaires; je vous dirais que je n'ay pas cru que de misérables querelles littéraires dussent paraître devant mon héros.
Mais dans la crise où l'on doit ètre je ne dois vous parler que des allarmes que vous éprouvés.
La lettre du 29 dont je vous parle me dit qu'on avait été saigné deux fois, et que l'éruption avait causé de l'assoupissement. Il faut espérer que les deux seignées faittes si à propos auront écarté tout danger. Cependant on tremble toujours pour l'événement surtout quand on est à plus de cent lieues. Si la bonne constitution rassure, l'âge donne de la crainte; quelle que soit l'issue de cette maladie dangereuse, je vois bien que vous ne partirés pas sitost pour votre roiaume. Votre attachement vous retiendra à la cour. L'état où je suis ne m'empêchera pas de venir vous rendre mes hommages. La mort a été dans nos retraittes sauvages. J'ay perdu une amie intime qui consolait ma décrépitude, et j'ay été fort malade après avoir conversé avec mon cheval Pégase. On fait une mauvaise plaisanterie le soir, et on meurt le lendemain matin. Voilà comme la destinée est faitte.
La petite vérole peut n'être qu'un dépurement du sang, elle peut avoir un caractère plus funeste. Je vous crois actuellement dans de grandes inquiétudes. Elles seront finies quand ma lettre vous arrivera, tout sera décidé. On ne m'a point mandé qu'il y eût un danger pressant. Je ne peux vous dire que des choses très vagues et très inutiles sur cet événement si intéressant. Je crains même de vous fatiguer de ma lettre; et je dois me borner dans ces circomstances critiques à vous renouveller le profond respect et le tendre attachement qui ne finira qu'avec la vie du vieux malade de Ferney
V.