1755-01-25, de Nicolas Claude Thieriot à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous avois déjà fait savoir, mon plus ancien ami, que Madame Fontaine étoit entièremt hors de danger.
Vous serés encor plus content d'aprendre qu'elle est dans un état de convalescence parfaite, mais qui demande bien du ménagemt et de la sobriété. Elle nous avoit mis dans de vives allarmes. Vous en allés avoir aussi de votre côté en vous aprenant que Mr le Duc de Fronsac a la petite vérole à l'hôtel de Richelieu. Il est dans son quatrième jour. On ne peut pas avoir moins de fièvre. La teste n'a pas éprouvé encor aucun embarras, il est sans agitamn et a suffisament de someil à plusieurs reprises. L'Eruption se fait lentemt et bien. Voilà ce que portent les deux derniers Bulletins. On attend Mr le Maréchal ce soir ou demain sans faute. Tout ceci est exact, vous y pouvés compter. Voilà de beaux commencemts, il faut espérer qls continûront. Il a un jeune Médecin, M. Lorry, qui le conduit sous la direction de Senac, à qui on envoye à la Cour deux fois par jour. Ce petit Lorry est homme de bon esprit, il auroit ma confiance. Cependt malgré toutes ces belles espérances cette Maladie est si terrible que Mademoiselle de Richelieu a beau jeu pour elle dans ce moment cy et qu'on la marie déjà, si Malheur arrivoit, avec M. le Comte de la Marche. Elle est d'une figure charmante, avec un esprit fin plein d'agréments et rempli de toute sorte de belles connoissances. made la Duch. d'Aiguillon la mène présentemt dans le Monde et de tems en tems aux spectacles. Je crois vous faire plaisir en vous disant tous ces ravaudages qui vous intéressent pour des Enfants que vous avés veu naitre et pour leur Père que vous aimés et qui vous aime. Pour moi qui m'intéresse infiniment aux vôtres, dites moi je vous prie, où vous en êtes sur votre Hist. Universelle que je désire que vous portiés à la perfection que vous êtes capable de lui donner. C'est une de vos plus belles entreprises, mais on ne la peut regarder encor que comme une belle esquisse.

J'ai crû qe ns allions avoir l'hyver de 1709 qui prit de même le 6 janvier et qui n'a été qu'un degré et demi au dessus de celui cy. Il semble vouloir reprendre de plus belle. Faute de choses nouvelles il me rapelle des vers de Chapelle à l'abé de Chaulieu sur un pareil hyver que je vous envoye parce qu'ils sont bien faits et qu'ils ne vous sont pas connus à ce que je crois.

Cher abé, souviens toi qu'Horace
Veut qu'on mette pendant ces froids
Largemt du vin dans la tasse
Et dans le foyer force bois.
Vois tu nos arbres et nos toits
Soutenir àpeine le poids
De la Nêge qui s'y ramasse?
Vois tu nos fleuves comme en Thrace,
Si bien arrêtés pour deux mois,
Que bientôt à la même place
Où l'on vit leurs flots autrefois,
Tu verras rouler les charrois
Sur leur ferme et stable surface?
Plus desséché qu'un hareng pec
Le Poisson meurt sous ces entraves.
Pour mettre de quoi dans leur bec
Les oiseaux se font nos Esclaves.
Et nous mêmes sans choux, ni raves
Ne vivons en ce double échec
Que de ce dont Melchisedec
Repût Abraham et ses braves,
C'est à dire de beau pain sec
Et du bon gros vin de nos caves.
Abé, long sera le désordre
Qui tout l'Univers a transi,
Et poura ce grand hyver cy
Donner bien du fil à retordre.
Il a chez nous tout endurchi,
Nos jardins et tous nos mets, si
Que qui peut rencontrer où mordre
Au ciel doit un beau grand Merci.

Le reste ne se soutient pas et m'a paru fait trop à la haste. Ils sont écrits d'Anet où il passa cet hyver. On vient d'ôter à Freron les feuilles. On dit que c'est pour n'en avoir pas soumis la dernière du Vol. à l'aprobaton. On ne m'en a pas dit plus. Comme je ne les lis jamais je n'en sais pas davantage; mais je parierois qu'on les lui rendra dans huit jours.