1756-06-21, de Nicolas Claude Thieriot à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai trouvé en arrivant d'Etiolles, où j'ai passé quinze jours, votre lettre du 4 et un paquet de 4 Exempres de vos admirables sermons sur Lisbone et sur la Loi Naturelle; j'ai été ce matin mon très grand et illustre ami faire part à M. Dargental de votre sainte colère au sujet d'un Commentaire que vous me supposés gratuitement avoir inséré de mon chef dans votre note sur Baile; je lui ai porté votre Edition de Geneve et la copie qui en a été faite à Paris par Lambert; je lui ai fait lire l'une et l'autre avec votre Lettre du 30 avril dans laquelle vous me prescrivés les propres termes exactement soulignés que j'ai scrupuleusemt substitués selon vos intentions.
Vous finissés en me le recommandant de la manière du monde la plus importante et la plus sérieuse, disant que la note telle qu'elle est dans votre Edition de Geneve deviendroit la satire du Discours d'un avocat Général et d'un arrêt du Parlemt. Ainsi M. Dargental peut certifier présentemt qui de nous deux a été possédé du Diable des Burmans, des Bentleys et des Variorum. Aureste je remettrai ces jours cy à nos bons amis Diderot et Dalembert leurs exemplaires avec celui de Diogene Rousseau qui est retiré avec un Berger dans la plaine de St Denis dans une chaumière que lui ont donné Mr et Mad. Depinay. On lui fera tenir incessamt votre brochure qui s'accomodera fort avec ses contemplations.

Certes, vous me ferés un bien grand plaisir de m'envoyer le receuil de vos rêveries qui vaudront mieux que celles du Maréchal de Saxe. Elles sont aussi beaucoup plus du goût de Lambert que je soupçone fort de les imprimer sans perdre de tems. Les Cramers ne peuvent pas s'en prendre à vous. Tout Livre imprimé en pays quelquonque est de droit dans les autres au primo occupanti. Tous les Libraires de l'Europe sont dans cette pratique, et je défie d'y remédier.

Nous ne croyons pas le Citoyen de Montmartre de Freron, à la bonne heure de la Beaumelle, mais je n'y vois ni son tour, ni son mauvais stile. J'ai été à portée de bien savoir qu'il a été trop occupé du débit de ses marchandises. Il n'est pas vraisemblable non plus que Freron eût fait un tel ouvrage et un extrait de Catilina et de Rome sauvée aussi raisonable et en même tems aussi désavantageux pour M. de Crebillon qu'il vous doit être agréable et à tous les gens de bon sens.

J'ai leu les 15 Vol. de la Beaumelle à Etiolle. C'est un très mauvais ouvrage que ces Mémoires. On ne feroit guères plus d'un volume des lettres qui pouroient éclaircir l'histoire du siécle de Louis 14. Tout le monde lit ce misérable écrivain en convenant de son impudence, de son effronterie et de sa duplicité en politique, en Morale et en Religion. Tout son livre en est plein. Il est souvent sot, étourdi et fripon. Il est bien étrange qu'un vagabond inconnu ait retiré tant de Lettres si importantes et tant de pièces et de Mémoires des honêtes gens qui les possédoient. Il est encor bien plus étrange que le brillant et solide auteur de l'hist. du siécle de Louis 14 soit hors du Royaume et que le malheureux Erostrate de ce beau siècle soit dans les antichambres des Ministres et dans les rues de Paris.

Vous verrés bientôt par vous même que cette histoire est déjà mise au rang des Lettres de Mad. Du Noyer. On est prêt à le confondre sur plusieurs faussetés. Mad. la Maréchale de Villars se plaint d'une lettre qu'elle n'a jamais écrite, beaucoup de personnes de la Cour se plaignent de ses impudences et de la tolérance du Ministère pour l'ouvrage et pour l'auteur.

Cependant vous ne devés songer qu'à en tirer parti en revoyant, ou faisant revoir des sources que vous avés trop méprisées telles que les Mémoires de M. Dangeau que Mad. de Maintenon elle même lisoit avec plaisir et dans les quels elle retrouvoit ce qu'elle savoit. Ainsi de bien d'autres. Je sais encor beaucoup d'autres écrits à paroitre. Ainsi ne vous pressés que lentemt. Il me paroit que Mad. Denis et Mad. Fontaines contribuent beaucoup à l'agrémt de votre Vie, que je leur en sais gré et qe je les aime. Bon soir mon incomparable ami.

Tht