à Paris 9 9bre [1757]
Votre lettre a été remise à M. Egherti, et sans avoir eu de ses nouvelles parceq est encor à la campagne, je vous puis asseurer qu'il en aura été fort flatté.
Il est très vrai que La Baumelle est sorti de la Bastille en même tems que l'archevêque de Paris est revenu de Conflans. Le soleil luit, et il pleut également sur les bons et sur les méchants. On a accordé quinze jours à la Baumelle pour mettre ordre à ses affaires à Paris, et deffense à lui d'y revenir sans permission. Il s'en va dans son pays avec ordre d'y rester.
Je vous ai déjà écrit que Mad. de Sandwich avoit laissé deux Testaments. Le premier dont Mad. la Duch. d'Aiguillon n'avoit accepté l'exécution qu'à condition, qu'elle ne lui laisseroit absolument que l'honeur d'exécuter ses volontés, et le pouvoir de récompenser ses Domestiques, comme elle le jugeroit décent et convenable. Ce Testament a été révoqué par un second qui établit égalemt Mylord Sandwich son petit fils qu'elle n'aimoit ny n'estimoit son légataire universel, et qui ôtoit à Mad. Daiguillon le pouvoir qu'elle lui avoit donné par le premier. Elle ne laissoit rien d'ailleurs à ses vieux domestiques, ny rien à ses amis. Tout Paris s'est soulevé en faveur de ses vieux domestiques. Mad. la Duch. d'Aiguillon, toujours noble et courageuse dans les grandes occasions, a écrit à Mylord Sandwich pour ces pauvres malheureux. Il y a répondu avec dignité et générosité en laissant Mad. Daiguillon entièremt maitresse des récompenses qu'elle jugeroit à propos de faire. J'avois remis à Mad. de Sandwich la pension de 400lt qu'elle m'avoit faite pendant dix huit mois, et je n'ai rien diminué depuis cette remise des marques d'attachemt que le goût et la reconnoissance m'avoient inspiré pour elle. J'avois formé une liaison très particulière, et qui duroit depuis plus de six ans, entre Mad. la Comt. de Sandwich et Mad. de la Popeliniere, elles se convenoient infiniment, et elles passoient régulièremt deux jours de chaque semaine ensemble avec Mr le Marquis Dargenson et Mad. la Comt. de Froulé, dont je ne puis mieux vous donner une idée qu'en la comparant à Mad. de Sévigné.
Je n'ai jamais rien attendu de Mad. de Sandwich parceque je la connoissois très bien. A l'égard de Made de la Popliniere que j'aimois de la plus tendre amitié et qui avoit une confiance sans bornes en moi, je n'ai point été étonné qu'elle m'ait laissé un diamant de quatre mil livres. Elle me dit plusieurs fois qu'elle me laissoit si peu afin de me l'assurer davantage. Monsr de la Popliniere m'en a parlé lui même comme je vous l'ai dit. Je ne l'en fais point ressouvenir. Je le vois très rarement, et comme il n'est libéral que par humeur, je ne serai pas plus surpris qu'il s'avise de remplir ou de suprimer cette intention honnête de sa femme. Dieu le bénisse avec toutes ses richesses, je suis plus heureux que lui, et je ne désire et ne regrette que Mad. de la Poplinière, dont je me consolerois, si je pouvois espérer de la revoir.
Il me semble que l'hist. de Pierre le Grand tient bien fort à la guérison de l'hydropisie de la douce et Charmante Elizabeth Petrona. Cependt cette histoire me semble être une occupation et un ouvrage bien convenable à votre âge et à votre savoir faire. Vous y travaillerés sans ces peines et inquiétudes d'esprit que vous avés éprouvé en composant vos Poèmes Dramatiques. Le Triomphe n'en est pas si brillant, mais il est solide, durable et plus général. Ainsi je ressens un plaisir extrême en aprenant que vous n'abandonnés pas cette hist. générale, si neuve et si intéressante. Ne vous lassés pas de la corriger, de l'augmenter et de l'embellier. Je dois vous envoyer à ce sujet incessamt un Mémoire et des Matériaux sur le Commerce qui vous fourniront une bonne digression. C'est M. de Gournai, Intendt du Commerce, d'un Esprit fort pénétrant et fort instruit qui me le doit remettre.
A l'égard des affires du Nord de l'Allemagne, je crois que nous ne sommes pas mieux instruits que des souris dans un Vaisseau de l'intention de ceux qui le conduisent. Il fault être comme vous en relation avec les principaux acteurs respectifs de la grande Manoeuvre qui se voit si confusément. Que votre Disciple Roi se seroit attiré d'éloges s'il avoit mis en pratique ce qu'il a si bien dit que l'humanité, Vertu si nécessaire aux Princes, étoit peut être leur unique Vertu.
Je finis en vous exprimant ma grande satisfaction sur l'existence de la véritable Jeanne, car j'aime autant votre gloire que votre bonne santé.
Mad. la Comtesse de Montmorency est si charmée et si jalouse des lettres que vous m'écrivés, que je crois qu'elle vous écrira au premier jour.
Tht