[c. 1 March 1778]
Le docteur entrant chez Voltaire l'a trouvé fort agité, et le marquis dans la chambre se promenant avec un papier à la main.
Ce papier, dit on, était une lettre anonyme sanglante contre Voltaire. Le docteur s'est fâché et principalement contre le marquis, qu'il a mis hors de la chambre par les épaules en lui disant qu'il tuait Voltaire. Ce traitement l'a très irrité, et comme il y avait dans l'antichambre bien des valets témoins de ce qui s'était passé, il n'y avait qu'un cri contre le docteur: que c'était un charlatan, etc. Le laquais du docteur, qui était avec les autres, rendu compte à son maître de ce qu'il avait entendu. Le maître n'a pas voulu retourner chez son malade, où m. Lorry a été appelé, et, comme il est ami du docteur, ils se sont très bien entendus ensemble. Mais il est arrivé un incident: le marquis ulcéré a écrit à m. Lorry une lettre qui dégrade le docteur de toutes ses forces et comble de louanges m. Lorry comme seul auteur des bons conseils et du rétablissement du malade, et cette lettre a été imprimée dans les journaux. M. Lorry est allé au docteur pour lui faire part de tout son chagrin et lui dire qu'il ne remettrait pas les pieds chez Voltaire.
Mme Denis, qui avait vu cette lettre imprimée, en a écrit une au docteur que mme d'Epinay m'a dit très honnête et très bien. Pendant toute cette bagarre Voltaire a voulu sortir de la maison et en a fait chercher une; on l'a trouvée, mais le marquis, qui craignait cet événement, a fait l'impossible pour l'éviter. Il y a réussi et alors Voltaire, qui se porte assez bien à présent, a dit qu'il partirait dans huit jours pour retourner à Ferney.