19 juillet [1764]
J'apprends mon cher ami que quelques malins débitent une rapsodie, intitulée Saül tragédie tirée de l'ecriture sainte par mr de Voltaire à Geneve.
Il est clair par l'intitulé que c'est un tour qu'on me joue. On dit qu'il y en a très peu d'exemplaires et qu'ils ont été très sagement supprimez par messieurs les scolarques; mais c'est assez que les ministres du saint évangile en aient un exemplaire, pour qu'ils fatiguent la prudence du conseil. Il me semble que dans cette occasion ce serait à moy et non à eux à demander justice de l'abus qu'on fait du nom de Geneve et du mien. Je crois aussi que le party le plus convenable est d'ensevelir dans son obscurité cette sottise qui ne mérite pas qu'on luy donne de l'importance, mais s'il arrivait que des brouillons insistassent auprès du conseil, il serait peutêtre alors à propos que je détruisisse leur mauvaise volonté en déférant moy même ce libelle fait en effet contre moy, et visiblement imprimé pour me nuire.
Ainsi donc je joints icy à tout événement, une requête que je soumets à votre prudence et que je recommande à votre amitié. Vous ne la donnerez sans doute que quand il la faudra donner. Vous ne ferez que ce qu'il faudra faire. Je vous avoue qu'il serait fort triste pour moy que mon nom fût compromis à mon âge; si vous et vos amis pouvez faire en sorte que cette sottise soit étouffée, je vous auray aussi bien que maman une véritable obligation. Le conseil sait combien je luy suis dévoué; en un mot je compte sur vous et sur vos amis, et je vous embrasse bien tendrement. Ainsi fait maman.