1764-07-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Tronchin.

Mon cher ami j'ay fait ce que j'ay pu pour avoir un exemplaire de cette misère et je n'ay pu y parvenir.
On dit qu'il n'y en a qu'un. On disait auparavant qu'il y en avait trois ou quatre. Cette petite manœuvre est un tour de la faction qui a prétendu que c'était à Fernex qu'on avait résolu de condamner Jean Jaques. Depuis ce temps presque touttes les remontrances ont roulé en partie sur la sévérité exercée contre J. J., et sur le silence observé à mon égard. Mais les factieux auraient pu observer que je suis Français établi en France et non à Geneve. Ce dernier effort de vos ennemis vous paraît sans doute aussi méprisable qu'à moy. Je crois comme vous qu'il faut laisser tomber ce petit artifice. Un éclat qui me comprometrait, m'obligerait à faire un autre éclat. On sait assez que je n'ay opposé jusqu'à présent qu'un profond silence à touttes les clabauderies, et aux entreprises du party opposé. Le fonds de l'affaire est qu'un certain nombre de vos citoyens est outré qu'un citoyen soit exclus de sa patrie, et qu'un étranger ait un domaine dans votre territoire. Voylà la pierre d'achopement. Je vois que vous pensez très sagement et que vous ne voulez pas accorder à des ennemis du repos public une victoire dont ils abuseraient. Je vois que vous avez parlé à m. le premier sindic et à vos amis suivant vos principes équitables et prudents. Je sens bien aussi que votre amitié va aussi loin que votre sagesse, et j'en suis bien touché. Je vous demande en grâce de me mettre un peu au fait et d'être bien sûr que vous ne serez pas compromis. Maman vous embrasse de tout son cœur.

L'affaire du Virtemberg est un peu plus sérieuse et je risque de tout perdre.

J'aprends dans ce moment que ce n'est pas la vénérable compagnie qui a déféré la sottise en question. Je dois supposer que la personne qui s'en est chargée n'a eu que de bonnes intentions.