30e juillet 1774, à Ferney
Vous voulez donc me ressusciter, Madame, en daignant vous souvenir de moi.
Vous datez vos bontés de Hambourg; je vous croiais dans quelqu'une de vos terres, et je ne pensais pas que vous prissiez un si grand intérêt à la cour de France.
Tous mes souhaits sont que vous soiez heureuse chez vous.
Je respecte tous les rois, et j'achêve ma vie loin d'eux avec assez de tranquilité. J'ai fondé à Ferney une espèce de petite ville où il y a des maisons très agréables. C'est là où je regrete les jours où je vous ai fait ma cour. J'y ai établi une assez grande quantité de fabriques d'horlogerie, et Ferney est devenu une ville de commerce. Quand vous voudrez faire des présents de montres à répétition ornées de diamants à quelqu'une de vos principales sujettes, vous n'avez qu'à vous adresser à nous; vous serez très bien servie.
Tout ce que je sais du roiaume de France, c'est que le gouvernement a fait paver le trou que j'habite, moitié ville, moitié village. Vôtre carosse y roulera comme à Hambourg si jamais vous daignez faire un tour en Suisse.
Genêve est actuellement plus riche que Hambourg, elle s'est fait six millions de rentes sur la France, tant nous sommes prudents et économes. Aussi, c'est une chose surprenante que le nombre de belles maisons qu'on bâtit à la campagne sur le territoire de Genêve. Nous y avons la comédie et l'opéra tout l'été. Voiez si vous voulez que nous vous retenions une loge. Si vous revenez nous voir, aiez la bonté de vous dépêcher, car j'ai quatre vingt ans, je ne peux faire le voiage de Hambourg, et je n'ai pas le temps d'attendre.
Madame Denis et moi nous sommes à vos ordres.
Le vieux malade de Ferney V.