1776-10-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Étienne Bernard de Clugny, baron de Nuits-sur-Armançon.

Monseigneur,

Quoique je n'aie pas l'honneur d'être connu de vous, et que je craigne l'indiscrétion d'importuner pour des affaires particulières un ministre chargé de celles d'un grand roiaume; souffrez cependant que je vous présente la requête d'un village.

Ce village situé à l'extrémité de la France, entre Genêve et la Suisse, allait devenir une ville florissante, et poura même encor l'être s'il mérite vôtre protection. Il n'est composé que d'étrangers que j'ai établis à grands frais. On y fabrique des montres beaucoup mieux qu'à Genêve, et le Sr L'Epine, horloger du Roi, l'un des plus habiles de L'Europe, y a son comptoir et ses ouvriers. On y travaille d'un côté pour Paris, et de l'autre pour le Bengale. Les Anglais nous ont préférés aux ouvriers de Londres, parce que nous travaillons à moitié meilleur marché. Cet établissement fait à la porte même de Genêve pourait en peu d'années partager tout le commerce des genevois si vous daigniez le favoriser.

La pluspart des autres fabriques ont demandé au Roi des encouragements en argent. Celle cy ne demande que la liberté de travailler. Vous jugerez, Monseigneur, de ce qu'on peut faire pour elle. Je mets à vos pieds leur mémoire, et je me borne à attendre les ordres que votre équité et votre bienfaisance voudront bien donner.

J'ai l'honneur d'être avec beaucoup de respect

Monseigneur

Votre très humble et très obéissant serviteur.