1774-10-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Je vous suis assurément très obligé, Monseigneur, de la justice que vous voulez bien faire rendre aux artistes de Ferney qui ont fourni la montre pour les présents du mariage de Madame la Comtesse D'Artois.
Cette bonté de vôtre part est d'autant mieux placée que les ouvriers qui ont fait cette montre sont les plus pauvres de la colonie, et que je suis certain qu'ils n'avaient voulu rien gagner sur cet ouvrage, afin de mériter vôtre protection et celle de Messieurs les premiers gentilshommes de la chambre.

Il est singulier que prèsque tous les ouvriers que j'ai établis à Ferney travaillent pour les horlogers de Paris qui mettent hardiment leurs noms aux montres qui se font chez moi.

Si le ministère pouvait nous tenir la parole que M: Le Duc De Choiseul nous avait donnée, d'éxempter d'impôts cette colonie, il est sûr qu'elle serait très utile au roiaume, et qu'avec le temps son commerce l'emporterait sur celui de Genêve. Je suis parvenu à faire une assez jolie petite ville d'un hameau misérable et ignoré, et à établir un commerce qui s'étend en Amérique, en Afrique et en Asie. L'unique avantage que j'aie retiré de cet établissement, est la satisfaction d'avoir fait une chose qui n'est pas fort ordinaire aux gens de Lettres. Il me semble, dumoins, que c'est se ruiner en bon citoien.

C'est aussi en bon citoien que je mourrai attaché à mon héros qui a rendu tant de services à l'état dans des carrières un peu plus nobles et plus brillantes dont rien n'altèrera jamais la gloire. Souvenez vous toujours avec bonté du vieillard de Ferney.

V.