1771-01-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Mon héros,

Je vous représentai mes raisons fort à la hâte par le dernier courier, étant fort pressé par le tems.
Permettez que je vous parle encor de cette petite affaire qui ne vous intéresse en aucune façon, et qui m’intéresse infiniment. Pour peu que vous fussiez lié avec l’homme en question, vous savez avec quel plaisir je sacrifierais mes répugnances à vos goûts; mais vous ne le connaissez point du tout, et moi je le connais pour m’avoir trompé, pour m’avoir ennuié, et pour m’avoir voulu dénoncer. Si vous aviez eu le malheur de lire ses fétiches et ses terres australes, vous ne voudriez pas assurément de lui. Hélas! nous avons assez de présidents. Encor si on vous donnait un président Hénaut, mais nous n’en aurons plus de si aimable.

Je vous conjure encor une fois de ne nous point charger de celui qui se présente. Ce serait un affront pour moi dans l’état où sont les choses, et ce ne serait pas une grande satisfaction pour lui.

Il est même dit dans nos statuts qu’un homme obligé par sa place de résider toujours en province ne peut être de l’académie.

Vous me demandez si je veux qu’on joue Sophonisbe. Hélas! je veux sur celà tout ce qu’on voudra, et surtout ce que vous ordonnerez. Ce que je voudrais principalement ce sont des acteurs, et on dit qu’il n’y en a point. Laissera t-on ainsi tomber le théâtre qui fesait tant d’honneur à la France dans les païs étrangers, et n’aurons nous plus que des opera comiques? Il y va de la gloire de la nation et vous êtes accoutumé à la soutenir.

Vous me parlez du carillon de mon village et de mes montres démontées. Je puis vous assurer que c’est une entreprise qui mérite toute la protection du ministère. Il est assez singulier qu’un petit particulier comme moi ait peuplé un désert, et ait bâti douze maisons pour des artistes qui ont déjà établi leur commerce dans les païs étrangers. Le Roi lui même a pris quelques unes de nos montres, et en a fait des présents. Nous avons quelques uns des meilleurs ouvrier de L’Europe, et nous étendrions nôtre commerce en Turquie avec un grand avantage, s’il plaisait à Catherine 2de de faire la paix. Je n’ai aucun intérêt dans cet établissement. Je suis comme les gens qui fondent des hôpitaux, mais qui ne s’y font point recevoir. M: Le Duc de Duras a eu la bonté d’encourager nos fabriques en prenant quelques unes de nos montres pour les présents du mariage de Monseigneur le Comte de Provence. Nous vous demanderions la même grâce si vous étiez d’année. Ma nièce soutiendra cette manufacture après moi. Vous lui continuerez les bontés dont vous m’avez honoré si longtems, et elle vous attestera que vous êtes l’homme de l’Europe à qui j’ai été attaché avec le plus de respect et de tendresse.

V.