Je suis bien embarrassé, vrai ami, vrai philosophe.
Si j'étais à Paris je ferais le moulinet; mais des bords du lac Leman je ne peux rien. Vous savez ce que je vous ai écrit sur Marin; quels bons ouvrages a-t-il faits? dira-t-on. Je réponds qu'il n'a pas fait les Fétiches, et qu'il est très utile aux gens de lettres. Le président nasillonneur a fait les Fétiches, et même les Terres australes, et n'a jamais été utile à personne. Si j'écris au petit abbé, il se mettra à rire, montrera ma lettre, comme cela lui est arrivé plus d'une fois; si j'écris à d'Argental, il n'en parlera pas à Foncemagne, parce qu'il ne s'agit pas là de comédie: la seule ressource est de Lille. Sa traduction des Georgiques de Virgile est la meilleure qu'on fera jamais. On dit d'ailleurs que c'est un honnête homme.
Si vous ne le prenez pas ne pourriez vous pas avoir quelque espèce de grand seigneur?
Vous avez bien remarqué, sans doute, dans l'édit du roi contre le parlemt, ce qu'on dit de l'esprit de système. Il se trouve que les philosophes ont gâté le parlement. On dit qu'ils font actuellement enchérir le pain, et qu'ils sont l'unique cause de la guerre entre l'Angleterre et l'Espagne. N'est ce pas aussi la philosophie qui nous a pris nos rescriptions? Par ma foi il n'y a de plaisir à être philosophe que comme le roi de Prusse avec cent cinquante mille soldats.
Le roi philosophe de Dannemark a-t-il fait ce qu'il disait? Laleu prétend que non, mais c'est que Laleu n'était pas encore apparemment au fait.
Parbleu je prends mon parti; vous pouvez faire lire habilement la déclaration ci-jointe à l'abbé de V…. et à tous le gens de lettres intéressés à la chose.
Ferney ce 19 Xbre 1770