1763-12-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gabriel Cramer.

Vous savez caro que votre f. consistoire a dénoncé la lettre de l'autre quacre, à votre conseil.
Il faut que ces gens là soient enragez. Il m'est tombé entre les mains une de ces lettres. Il n'y a rien qui regarde ces polissons ny qui puisse offenser directement le premier établissement de leur polissonerie. Leur impertinente démarche ne mérite que des croquignoles. Cependant vous voyez bien quel esprit d'animosité et de vertige les anime. Ils se doutent que vous avez imprimé la lettre du quacre. Ils veulent la faire condamner pour vous exclure de l'auditorerie. J'ay donné à m. Bertrand la seule lettre quakeriene qui me restât. Si vous n'en avez pas laissé courir de copie je ne conçois pas comment ces animaux là en ont attrappé une. Attendez, je me souviens encor que j'en ay donné une à Constant qui peutêtre l'aura donnée au professeur qui l'aura donnée à un prêtre.

Je serais fâché qu'il y eût un éclat et d'autant plus fâché que je rends actuellement un service important au conseil.

Vous pouriez engager m. le sindic Crammerà diriger le conseil dans cette affaire; le party le plus sage serait de répondre aux cuistres qu'on veillera sur l'écrit dénoncé, qu'on empêchera le débit s'il y en a dans Geneve, et de s'en tenir là.

Quant aux barbares du consistoire de Berne vous savez qu'ils sont gomaristes, et qu'ils ont pu être choquez d'une notte De la tolérance qui déclare le Dogme de Gomar un dogme infernal. Or comme ces messieurs sont très infernaux, ils ont agi suivant leur vocation.

Je croiais que vous étiez instruit du changement de scène à Versailles et de la nomination d'un conseiller du parlement à l'administration des finances.

Puisque vous voulez des nouvelles de notre pays, Bigot, intendant du Canada, et trois consorts condannez au banissement perpétuel, confiscation et restitution, les autres accusez à un banissement limité, et la France condamnée à perdre le Canada.

Pour vous messieurs vous êtes condamnez éternellement aux tracasseries. Interim vale et me ama.

Nb. tâchez déterrer le délateur. Voyez à qui vous avez donné des quacres, car vous savez que je n'en ay pas envoiéz à Geneve.