1764-11-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Élie Bertrand.

Mon cher philosophe, vous êtes un homme charmant, un bon ami, un philosophe véritable. L'article dont vous me parlez était d'un fripon, d'un délateur, et non pas d'un nouvelliste. Depuis quand est il permis d'acuser les particuliers, de son autorité privée, dans les papiers publics? Un tel abus est punissable.

Je n'ai nul commerce avec les auteurs de l'ouvrage dont vous me parlez, mais quels qu'ils soient, ils seront pénétrés pour vous de reconnaissance. Présentez mes respects, je vous en prie, à Mesrs les comtes de Mnized.

J'ai l'honneur de faire réponse à Mr le Banneret, qui a eu la bonté de m'écrire.

Il vint diner hier un damné avec moi, qui me soutint que la morale était une chose divine, et que la somme de St Thomas était ridicule. Le scélérat ajoutait que les dogmes avaient amené la discorde sur la terre, et que la morale amenait la paix. Je vous avoue que j'eus peine à me contenir en entendant ces blasphêmes. Je n'aurais pas manqué de le déférer au consistoire de Genêve, si j'avais été dans le territoire immense de cette fameuse république. Un homme aussi intolérant que moi ne souffre pas une telle hardiesse, qui serait capable, à la fin, de porter les hommes à se pardonner les uns les autres leurs sottises. Ce serait porter l'abomination de la désolation dans le lieu saint. Je crains bien, Monsieur, que dans le fond vous ne soiez entiché de cette horrible doctrine; en ce cas, je romprai avec vous tout net; cependant, je vous aime de tout mon cœur.

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