1759-03-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Germain Gilles Richard de Ruffey.
Vos roziers sont dans mes jardins,
Et leurs fleurs vont bientôt paraitre.
Doux azile où je suis mon maitre!
Je renonce aux lauriers si vains,
Qu'à Paris j'aimai trop peutêtre;
Je me suis trop piqué les mains
Aux épines qu'ils ont fait naitre.

Je viens de recevoir monsieur et de faire planter sur le champ vos jolis roziers de Bourgogne. J'y ay mis la main, je les ay batisez de votre nom. Ils s'apellent des Ruffey, et j'en donnerai sous ce nom à mes voisins qui partage-ront ma reconnaissance. Pourais-je me flatter que vous viendrez les voir quelque jour, et que vous n'oublierez pas entièrement ce petit coin du monde que vous embéllissez par vos présents? Vous serez probablement dans vos terres cet été. Je viendrais vous y voir si je pouvais abandonner un moment mes massons et mes charpentiers. Je commence par me ruiner avant de donner mon aveu et dénombrement à la chambre des comptes qui probablement me fera interdire quand elle saura que je dépense vingt mille écus à un châtau dont la terre ne vaut pas trois mille livres de rente. Il n'en sera pas de même de Tournay. Je ne dois rien pour cette acquisition. J'y suis entièrement libre; et c'était là l'objet de mes tendres vœux. J'ay rempli la vocation de l'homme. Dieu l'avait créé libre, et je le suis devenu. C'est assurément la plus belle fortune qu'on puisse faire.

Ma nièce de Fontaine sera encor plus heureuse que moy. Elle aura l'honneur de vous voir vous et madame la présidente de Ruffey à la fin du mois si vous êtes à Dijon. Je ne sçais si je vous ay mandé que Le Roy de Prusse m'avait envoyé deux cent vers de Breslau dans le temps qu'il assemble deux cent mille hommes. On commence déjà à rougir la terre avant qu'elle soit verte. Cela est infernal, les jesuittes plus infernaux encore s'ils sont en effet convaincus d'avoir trempé dans le parricide du Roy de Portugal. On ne leur jette encor à Paris que des oranges de Portugal à la tête, mais si le crime est avéré on leur jettera de grosses pierres.

Adieu mon cher donneur de roses. Mille respects à madame de Rufey et aux roses de son teint.

Senza ceremonié.

V.