1759-01-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Germain Gilles Richard de Ruffey.

Ainsi donc monsieur vous m'envoyez des roses, et quid quid calcaveris rosa fiet.
Avez vous vu mr le président de Brosses? S'il revient dans un an à Tournei, il demandera où était le châtau. Le plaisir de bâtir et de planter, flatte un peu L'amour propre, cela est vrai, mais le plaisir de mettre les choses dans l'ordre est bien plus grand. J'ay une telle horreur pour la difformité que j'ay rajusté deux maisons en Suisse uniquement parce que leur irrégularité me blessait La vüe. Les propriétaires ne sont pas fâchez de trouver un homme de mon humeur. Je ne mêle point de réformer les mauvais livres qui pleuvent dans Paris, mais bien les maisons où je loge. Hoc curo et omnis inhoc sum. J'ay été trop fâché de n'avoir pu avoir l'honneur de vous loger dans mon chétif hermitage des Délices pour ne pas bâtir au plus vite quelque chose de plus digne de vous recevoir. Votre chambre des comptes n'entendra pas sitôt parler de moy. L'acquisition de la terre de Ferney m'a causé plus d'embaras que celle de Tourney. Tout a été fini en un quart d'heures avec mr de Brosse, mais pour Ferney il n'en va pas de même, mon seigneur Paramont le sérénissime comte de la Marche me remet la moitié des droits et son conseil exige que je spécifie ce qui dépend de luy, et ce qui n'en dépend pas. C'est une distinction très difficile à faire, et qui demande des recherches de Benedictin. Je me donne bien de garde de faire des actes de seigneur à Fernex. Je n'ay point encor signé le contract, je n'agis jusqu'à présent qu'avec une procuration du vendeur. Je n'ose même aller à la messe depeur que la chambre des comptes ne saisisse mon fief. N'aurai-je pas même encor s'il vous plaît, six mois après la signature pour vous donner aveu et dénombrement? Je m'en raporte à vous. J'espère qu'on ne me chicannera pas, mais mon cher président ce que j'ay bien plus à cœur, et ce que je regarde comme la plus belle des acquisitions c'est d'avoir quelque part dans le souvenir de madame de Rufey. S'il y a baucoup de dames à Dijon qui luy ressemblent, c'est à Dijon qu'il faut vivre. Aussi aurai-s-je déjà fait le voiage si je n'avais embrassé bien fermement le parti de la retraitte pour le reste de ma vie. Vous pourez dire de moy

Namque sub Æbaliæ memini me turribus altis
Coricium vidisse senem cui pauca beati
jugera ruris erant etc.,

et qu'esce qui me retient sur les bords de mon lac?

Libertas, quæ sera tamen respexit inertem.

Voylà trop de latin. Je vous dirai en français que toutte ma famille est aux pieds de made de Rufey et que mon cœur est à vous pour jamais.

V.