à Commercy ce 19 juillet 1748
Voulez vous bien permettre monsieur que je prenne la liberté de vous adresser un gros paquet pour M. le comte de Maillebois?
Cecy est du ressort de l'historiograferie.
Il me paroit par tous les mémoires qui me sont passez par les mains que Monsieur le maréchal de Maillebois s'est toujours très bien conduit quoy qu'il n'ait pas été heureux. Je crois que le premier devoir d'un historien est de faire voir combien la fortune a souvent tort, combien les mesures les plus justes, les meilleures intentions, les services les plus réels ont souvent une destinée désagréable. Bien d'honnêtes gens sont traittez par la fortune comme je le suis par la nature.
Je fais L'impossible pour avoir de la santé et je ne puis en venir à bout. Me voicy dans un beau palais, avec la plus grande liberté et pourtant chez un roy, avec touttes mes paperasses d'historiografe, avec madedu Chastellet, et avec tout cela je suis un des malheureux êtres pensants qui soit dans la nature. Je vous trouve très heureux si vous vous portez bien. Hoc est enim omnis homo. Est il vray que mon illustre confrère va incessamment porter ses grâces chez les Suisses? Je n'ay fait que L'entrevoir depuis qu'il est marié et ambassadeur. Ma détestable santé m'a empêché de faire ma cour au père et au fils; on m'a empaqueté pour Commercy, et j'y suis agonizant comme à Paris. M'y voicy avec le regret d'être éloigné de vous sans avoir profité de votre commerce délicieux, et des bontez que vous avez pour moy. Laisséz moy toujours je vous en prie l'espérance de passer les dernières années de ma vie dans votre société. Il faut finir ses jours comme on les a commencez. Il y a tantôt quarante cinq ans que je me compte parmy vos attachez. Il ne faut pas se séparer pour rien.
Adieu monsieur, je voudrois être au dessus des maux, comme vous l'êtes au dessus des places, mais on peut être fort heureux sans tracasseries politiques, et on ne peut l'être sans estomac. Comptez qu'il n'y a point de malade qui vous soit plus tendrement et plus respectueusement dévoué que moy.
Volt.