1735-02-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Paul Desforges-Maillard.
Dona puer solvit, quœ femina voverat Iphis.

Votre changement de sexe, monsieur, n'a rien altéré de mon estime pour vous. La plaisanterie que vous avez faite, est un des bons tours, dont on se soit avisé; & cela seul serait auprès de moi un grand mérite. Mais vous en avez d'autres, que celui d'attraper le monde. Vous avez celui de plaire soit en homme, soit en femme. Vous êtes actuellement sur les bords du Lignon, & de nymphe de la mer, vous voilà devenu berger d'Astrée. Si ce pays là vous inspire quelques vers, je vous prie de m'en faire part; pour moi j'ai un peu abandonné la poésie dans la campagne où je suis.

Non eadem est œtas, non vis.
Olim poteram cantando ducere noctes.

Mais à présent je songe à vivre.

Quod verum atque decens curo, & rogo, & omnis in hoc sum.

Un peu de philosophie, l'histoire, la conversation, partagent mes jours.

Duco sollicitœ jucunda oblivia vitœ.

Cette vie sera plus heureuse encore, si vous me donnez part des fruits de votre loisir. Je suis fâché que la Champagne soit si loin du Lignon. Mais c'est véritablement vivre ensemble, que de se communiquer les productions de son esprit, & les sentiments de son âme.

Je suis &c.

Voltaire

P. S. J'ai reçu votre lettre fort tard après un voyage en Lorraine.