1731-07-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Mon cher amy vous n'avez point eü de maitresse qui vous aimé plus que moy.
Le premier plaisir que je goûte en arrivant à Paris est celuy de vous écrire, et je vous réponds que je vais arranger mes affaires de façon que je vous reverray bientôt. Je n'oublieray de ma vie les marques d'amitié que vous m'avez données à Rouen. Vous avez trouvé le secret de me faire passer avec délices un temps, où la maladie et la solitude auroient dû me rendre la vie bien ennuyeuse. Un esprit comme le vôtre est fait pour adoucir les chagrins et pour augmenter les plaisirs de tous ceux avec les quels il vit. Je vous demande à présent de mettre à Argus et à Isis le temps que vous vouliez bien employer à m'adoucir ma prison de Rouen. Adieu. Il n'est plus question pour moy de la vie douce, les affaires viennent me lutiner. A Rouen je passois ma vie à penser, je vais la consumer icy à courir. Une seule affaire quelque petite qu'elle soit emporte icy la journée de son homme, et ne laisse pas un moment de conversation avec nos amis Horace et Virgile.

O rus quando te aspiciam, quando que licebit
nunc, veterum libris nunc somno et inertibus horis
ducere sollicitæ jucunda oblivia vitæ.

C'est le somnus surtout que je regrette. Je ne le conois plus guère, mais je vous regrette mille fois davantage. Vale et tuum ama Voltairium.