à Colmar, ce 12 7bre 1754
Je fais les plus tendres compliments au frère et à la sœur.
Je sens qu'il est très triste d'avoir une si aimable famille, et d'en être séparé. made Denis fait ma consolation dans ma solitude et dans mes maladies. Plus elle est aimable, plus elle me fait sentir combien le charme de sa société redoublerait par celui de la vôtre.
La nouvelle la plus intéressante que le conseiller du grand conseil me mande est la démarche que son corps a faite. Je vous en fais mon compliment, mon cher abbé; il sera difficile que l'ancien des jours, Boyer, résiste à une sollicitation si pressante pour lui, et si honorable pour vous. L'homme du monde pour la conservation de qui je fais actuellement le plus de vœux, est l'évêque de Mirepoix.
Je suis bien aise que le parlement ait enregistré sa condamnation et sa grâce, sans demeurer d'accord des qualités. Le grand point est que l'état ait la paix et que les particuliers aient justice. Votre sœur à qui le fils de Samuel Bernard s'est avisé de faire en mourant une petite banqueroute, est intéressée à voir le parlement reprendre ses fonctions. Il serait douloureux que la situation de mille familles demeurât incertaine parce que quelques fanatiques exigent des billets de confession de quelques sots. Il n'y a que les billets à ordre ou au porteur qui doivent être l'objet de la jurisprudence. Il faut se moquer de tous les autres, excepté des billets doux.
Pour mon billet d'avoir une terre, ma chère nièce, j'espère l'acquitter, si je vis.
Il y a quelque apparence que nous passerons, votre sœur et moi, l'hiver à Colmar. Ce n'est pas la peine d'aller chercher une solitude ailleurs. Le printemps prochain décidera de ma marche.
Je suis bien aise qu'on trouve au moins ce 3e tome dont vous me parlez, passable et modéré. C'est tout ce qu'il est. Je ne l'ai donné que pour confondre l'imposture et l'ignorance qui m'ont attribué les deux premiers. Il y a une extrême injustice à me rendre responsable de cet avorton informe dont des imprimeurs avides avaient fait un monstre méconnaissable. Si jamais j'ai le temps de mettre en ordre tout ce grand ouvrage, on verra quelque chose de plus exact et de plus curieux. C'est un beau plan; mais l'exécution demande plus de santé et de secours que je n'en ai.
Votre vie est plus agréable que celle des gens qui s'occupent de la grâce et des anciennes révolutions de ce bas monde. Le mieux est de vivre pour soi, pour son plaisir, et pour ses amis, mais tout le monde ne peut pas faire ce mieux; et chacun est dirigé par son instinct et par son destin.
Vous ne me dites rien de votre fils. Je l'embrasse. Je fais mes compliments à tout ce que vous aimez.
Adieu la sœur et le frère; vous êtes charmants de ne pas oublier ceux qui sont aux bords du Rhin.