1743-08-24, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].
Tous ces complots, tous ces fracas,
Projets, avortons politiques,
Dont le sage fait peu de cas
Mais qui de nous autres laïques
Dirigent trop souvent les pas,
Ont sur mon estomac, Voltaire,
Des droits que je ne savais pas;
Le tourbillon de ma sphère
Dirige ma barque légère
Loin de Spa dans d'autres états.

Ainsi ce sera donc à Berlin que j'aurai le plaisir de voir l'Apollon français descendre de son Parnasse en ma faveur, et s'humaniser un peu avec la canaille prosaïque! Je vous prie, mon cher Voltaire, apportez avec vous bonne provision d'indulgence, et surtout qu'aucun grammairien ne mesure à la toise la longueur de nos phrases, et ne[nous] punisse de l'idiotise d'un solécisme. Vous verrez une troupe de comédiens qui se forment, une académie naissante, mais surtout beaucoup de personnes qui vous aiment et qui vous admirent.

Des suffrages germains recueillissez les fruits:
Sa trompette à la main la Henriade vole
Des enfants du Soleil jusqu'aux Lapons du pôle;
De votre nom fameux ces peuples sont instruits.

Il n'y a point à Berlin d'âne de Mirepoix. Nous avons un cardinal, et quelques évêques dont les uns font l'amour par devant et les autres par derrière, plus versés dans la théologie d'Epicure que dans celle de saint Paul, par conséquent bonnes gens qui ne persécutent personne, et qui ne disposent précisément que des charges de marguillier, de chantre et auxquelles vous n'aspirez point.

Apportez au moins, en venant,
Cette vierge si découplée
Qui brillait plus dans la mêlée
Que tous vos héros d'à présent; —
Que ce Broglio toujours fuyant,
Réduisant sa troupe en fumée; —
Que Maillebois toujours errant,
Menant promener son armée; —
Que Ségur, le capituleur,
Et que Conti  transis de peur.

Je vous montrerai de mes Mémoires ce que je croirai pouvoir vous montrer. Ils sont vrais, et par conséquent d'une nature à ne paraître qu'après le siècle.

Adieu, cher Voltaire; à revoir.

Federic