Potsdam, ce 1 juin 1777
Si j'étais Voltaire ou Apollon, j'aurais peut-être resserré le volume en le réduisant à moins de pages; mais m'aurait il convenu d'être aussi sévère censeur, ne pouvant surpasser ceux que j'aurais ainsi multilés? Il me serait arrivé comme à La Beaumelle et Fréron. Ils jugèrent la Henriade, ils voulurent y substituer des vers; et il n'y avait à critiquer que ce qu'ils avaient très improprement ajouté à ce poème.
J'en viens à vos chagrins et à vos peines. Souvenez vous bien que l'intention de ceux qui vous persécutent est d'abréger vos jours; et jouez leur le tour de vivre à leur dam, et de vous porter mieux qu'eux.
Nous sommes ici tranquilles et aussi pacifiques que les quakers. Nous entendons parler du général Howe, dont chaque chien en aboyant prononce le nom. Nous lisons dans les gazettes ce qu'on raconte des hauts faits des insurgents d'Amérique. Les uns vantent la force de la flotte anglaise; d'autres disent que la France et l'Espagne ont plus de vaisseaux que ces insulaires.
Actuellement la politique des gazetiers se repose: et il n'est plus question que du séjour du comte de Falkenstein à Paris. Ce jeune prince y jouit des suffrages du public; on applaudit à son affabilité, et l'on est surpris de trouver tant de connaissances dans un des premiers souverains de l'Europe. Je vois avec quelque satisfaction que le jugement que j'avais porté de ce prince est ratifié par une nation aussi éclairée que la française. Ce soi-disant comte retournera chez lui par la route de Lyon et de la Suisse. Je m'attends qu'il passera par Ferney, et qu'il voudra voir et entendre l'homme du siècle, le Virgile et le Cicéron de nos jours. Si cela arrive, vous l'emporterez en tout sur Jésus. Il n'y eut que des rois, ou je ne sais quels mages, qui vinrent à son étable de Bethléem; et Ferney recevra les hommages d'un empereur.
Pour rendre le parallèle parfait, je substitute à l'étoile qui guidait les mages, les lumières de la raison qui conduit notre jeune monarque. Si cette visite a lieu, je me flatte que les nouvelles connaissances ne vous feront pas oublier les anciennes, et que vous vous souviendrez que parmi la foule de vos admirateurs il existe un solitaire à Sans-Souci, qu'il faut séparer de la multitude. Vale.
Federic
J'ai lu cet ouvrage de Delisle; il y a sans doute de bonnes choses, mais peu de méthode, et, sur la fin, beaucoup de ce que les Italiens appellent concetti.