à Monrion 7 avril [1757]
Je n'ay demandé mon cher monsieur des billets de lotterie au grand faiseur, qu'en cas que cette lotterie produisit en effet 8 pr 100 en viager aux billets blancs, comme le bruit en courait.
Cependant si vous croyez la lotterie nouvelle un peu avantageuse quoy que formée sur un plan différent, vous pouvez toujours acquérir pour 80 m.lt de billets pr mon compte.
Je vous avoue que j'aurais mieux aimé placer en viager sur la tête de made Denis, et si la ville de Lyon prenait de l'argent à condition d'en faire des rentes à vie, j'aimerais bien mieux ce marché là qu'un autre.
Il parait que le gouvernement emprunte baucoup et que la nation paye les taxes avec une répugnance que tous les parlements semblent favoriser. On est obligé d'envoier des trouppes à Besançon pr contenir les conseillers et les écoliers. Le parlmt de Paris est plus effarouché que jamais.
Les belles déclarations de Damien qu'il n'avait d'autres complices que tous ceux dont il avait entendu les discours dans les salles du palais, ses aveux qu'il n'avait eu en vüe que de vanger le parlement et le peuple, ne raprocheront pas les esprits. On mande que le jour de l'exécution, il y avait plus de trouppes dans Paris que du temps de la fronde. On ne parle que d'un mécontentement général qui fait un triste contraste avec le nom de bien aimé que cette même nation avait si justement donné à son Roy. Je ne sçai si tant de sottises populaires ne pouront pas à la fin donner un très grand discrédit aux effets publics.
Feu Bernard, fils de Samuel Bernard, a fait en mourant banqueroute comme son père l'avait fait adroitement de son vivant. J'y suis pour environ huit mille livres de rente. Il y a six ans que cette affaire dure. Je pourais en retirer quelque chose, mais on me répond froidement que le parlemt ne se mêle plus de rendre justice. Jugez s'il ne vaudrait pas mieux avoir à faire à l'hôtel de ville de Lyon.
Si vous avez reçu monsieur la première caisse du libraire Briasson je vous prie d'avoir la bonté de luy faire tenir 415lt pour ce premier envoy. Je vous serai très obligé.
Je me partage comme vous savez entre Geneve et Lausane. Les hivers sont pr Lausane, et les étéz pour Geneve. Je quitte Monrion et je prends une maison plus commode et plus belle, dont la vue ressemble à celle de Constantinople sur le Bosphore. J'en suis le maître absolu pour neuf ans. Je la paye et je l'ajuste. Cela me coûtera un milier de louis d'or. J'aurai probablement recours à vos bontez pour quelques ameublements.
J'adresse cette lettre à mr Cathala. Bon soir mon très cher correspondant.
V.