1754-05-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Le prince héréditaire de Hesse demandeà son cher ami le catalogue de ses tableaux avec les prix.
Je le luy envoye et j'attends la réponse de mon cher ami.Ainsi vous qui êtes assurément ma chère enfant, plus que les princes ne sont mes chers amis, attendez je vous prie la résolution finale de son altesse hessoise. Cela ne tardera pas, et ne nuira en rien à nos desseins sur les montagnes cornues de Plombieres. Je ne m'attendais pas que je vendrais de Colmar mes guenilles, dans le palatinat et dans la Hesse. Mais le concours fortuit des atômes fait tout. Je n'ai pas d'ailleurs perdu tout mon temps à Colmar, et j'ay mis à profit mon loisir de malade. Sans la colère sacrée du clergé que L'impudence de Neaume m'a attirée j'achèverais ma vie de malade assez document. J'ay mandé au révérend père recteur des RRpp jesuittes pour réponse à ses excuses que je mettais tout aux pieds du crucifix. C'est le parti qu'il faut prendre. Je vous prie mon cher enfant de m'aporter mon testament et mon codicile qui sont chez mr de la Leu. Comme le codicille a été fait à Berlin sous seing privé, il ne serait pas valable selon les belles loix du royaume. D'ailleurs une grande partie de mon bien ayant changé de nature, et moy de paroisse, il faut que je fasse mon nouvau testament, et je n'aime pas qu'il en paraisse plusieurs de moy. Il n'en faut qu'un qui soit honnête. Voicy un petit mot pour mr de la Leu. Vous aurez la bonté de m'aporter ce petit paquet à Plombieres. N'y manquez pas, je vous en prie.

Mr Dargental me mande qu'il sera à Plombieres le 7 juin sans faute. Je compte que touttes mes affaires seront finies dans ce temps là. Mais quand elles ne le seraient pas rien ne m'empêcherait de voler au devant de vous. Il est vrai qu'il faut se bien porter pour sentir la joye mais comment faire? Je vis comme Hippocrate et Platon me conseilleraient de vivre et je n'en soufre pas moins. J'ay envie de faire comme l'abbé de st Pierre qui étant condamné des médecins envoya chercher une poularde, et une bouteille de vin de côte rôtie, mangea sa poularde, but sa bouteille, et continua jusqu'à quatre vingt deux ans cet honnête régime, mais où la mouche a passé le moucheron demeure dit Jean la Fontaine. Adieu, votre moucheron vous embrasse et n'en peut plus.