1754-05-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange j'ay oublié dans ma dernière lettre de vous parler d'un vieux papier cacheté dont vous avez eu la bonté de vous charger.
Le plaisir de m'occuper de votre voiage des eaux me tenait tout entier. Post habui tamen illorum mea seria ludo. Ce papier est ne vous déplaise, mon testament qu'il faut que je corrige comme mes autres ouvrages, pour éviter la critique; attendu que mes affaires ayant changé de face et moy aussi depuis cinq ans il faut que je conforme mes dispositions à mon état présent. Vous souvenez vous encor que vous avez une pucelle d'une vieille édition, et que cette Jeanne négligée et ridée doit faire place à une Jeanne un peu mieux atournée que j'auray l'honneur de vous aporter, pour faire passer vos eaux plus allégrement.

N'auriez vous point le factum de mr de la Bourdonaye que je n'ay jamais vu, et que j'ay une passion extrême de lire? Si vous l'avez, je vous suplie de l'aporter avec vous. J'ay grande envie de voir comment il se peut faire qu'on n'ait point pendu la Bourdonaye pour avoir fait la conquête de Madras.

Et les grands et les petits profètes? On dit que cela est fort plaisant. C'est dans ces choses sublimes qu'on excelle àprésent dans ma chère patrie. Adieu mon adorable ange. Souvenez vous de mon ancien testament. Je suis errant comme un juif, et je n'ay guères d'espérance dans la loy nouvelle. Mais je vous embrasserai à la piscine de Plombieres et vous me direz surge et ambula. Il faut que madame Dargental ne change point d'avis sur les eaux, elles sont indispensables.

V.