à Colmar 27 février 1754
Madame,
Je ne suis qu'un vieuxétourdi; je me suis trop fié à ma mémoire, et dans cette vie il ne faut se fier qu'à votre altesse sérénissime.
Lothaire le saxon en vingt cinq couronné, voylà ce qu'il fallait mettre conformément au corps de L'ouvrage. Ce sera la matière d'un petit errata. Je compte incessamment avoir l'honneur de vous envoyer le second tome. Dieu me garde de traitter l'histoire de Charles 7 et de marcher sur des cendres si chaudes, qui sont encor remplies de charbons ardents; j'en ay fait une histoire particulière sur les lettres originales de tous les ministres; mais cela n'est destiné qu'à l'arrière cabinet de votre altesse sérénissime. Sa dernière lettre pénètre mon cœur et le déchire. Sera-t-il possible que ma mauvaise santé me porte ailleurs, quand toutte mon âme est dans le châtau d'Ernest le pieux? Mon corps est entre les mains de la nature, et un peu dans celles du gouvernement de France; mais mon cœur n'appartient qu'à Gotha. Que j'ay mal fait madame de quitter cet azile de la vertu, de la générosité, de l'esprit, de la paix, des agréments! Figurez vous madame qu'un gros jésuitte qui gouverne despotiquement le palatinat me reproche les véritez que la loy de l'histoire m'a forcé de dire sur les papes. Un autre jésuitte qui gouverne le diocèse de Porentruit où je suis, me poursuit pour la même cause. Ah madame, que Frederic de Saxe votre ancètre avait raison de combattre pour exterminer cette engeance! Les prêtres catholiques sont nez persécuteurs, comme les tigres sont nez avec des griffes. Le clergé était institué pour prier dieu et non pour être tiran. Il est vray que la relligion catholique a fait plus de mal à votre maison qu'à moy, et que j'aurais tort de me plaindre. Je ne me plains que de ma destinée qui m'empêche de venir moy même mettre à vos pieds le second tome de ces annales.
J'espère encor quelque chose du printemps, à moins que quelque descendant de Sergius trois et de Marosie ne vienne m'excommunier, et me poignarder; mais le portrait de votre altesse sérénissime les fera fuir comme chez nous l'eau bénite chasse les diables.
J'ay eü l'honneur de luy mander que j'avais retrouvé une copie de cet essay sur l'histoire universelle; à quoy bon touttes ces histoires tristes! J'aime mieux celle de Jeanne; mais je suis honteux de parler de Jeanne avec mes cheveux gris. Je ne connais plus qu'un sentiment, celuy du plus profond respect, de l'attachement, de la tendre reconnaissance, qui me met aux pieds de votre altesse sérénissime.
V.