[c. 10 November 1753]
Madame,
On imprime actuellement ces annales de L'Empire que votre altesse sérénissime m'a commandé d'écrire.
Elles ont été faittes dans un temps où le plaisir d'obéir à vos ordres pouvait seul me donner la force de travailler. J'espère avoir l'honneur d'envoyer l'ouvrage aux pieds de votre altesse sérénissime pour vos étrenes. Il est écrit avec la liberté, et je crois, avec la vérité que l'histoire demande et que vous aimez. Voicy madame une esquisse de l'épitre dédicatoire que je compte mettre à la tête de ses annales en cas que votre altesse sérénissime l'approuve. Je demanderai encor ses ordres pour savoir si elle veut qu'on mette les lettres initiales de son nom ou si elle permet qu'on écrive cet auguste nom tout entier.
Si elle le désire, j'enverrai les dix ou douze premières feuilles imprimées afin qu'elle juge par là de l'ouvrage. Elle trouvera peu d'empereurs qui traittent les femmes aussi indignement qu'on les a traittées à Francfort il y a quelques mois. Je suis plus que jamais aux pieds de la descendante d'Hercule, et je la préfère assurément à Denis de Siracuse. Comment ne préférerais-je pas la vertu la plus aimable à l'amour propre artificieux et cruel? Je sçai qu'il faut adoucir un homme puissant et dangereux. On en viendrait à bout si tout le tort était de mon côté. Mais il sent qu'il a mal agi, et pour se justifier il comble la mesure. Il feint de m'imputer cette lettre de 1752 qui contient sa vie privée, et qui était publique à Paris quand j'étais à Berlin. Il sait bien dans le fond de son cœur que cette lettre où je suis moy même maltraitté ne peut être de moy, mais il me l'impute pour se faire un prétexte de me persécuter dans des circomstances aussi cruelles. Il n'y a d'autre ressource que de s'envelopper dans son innocence et dans sa philosofie. Vos bontez madame, et un peu de travail me soutiennent dans les horreurs de la persécution et de la maladie. J'écrirai à mr de Gotter pour le remercier. Je connais des lettres qui sont bien supérieures aux siennes et aux miennes, et je prie celle qui m'honore de ces lettres si naturelles et si consolantes de me conserver des bontez qui me rendent très heureux dans mon malheur. Son altesse sérénissime permettra que madame la grande maîtresse trouve icy les assurances de mon respect.
Je suis à vos pieds madame et à ceux de toutte la postérité d'Ernest.
V.
Je ne sçai si j'ay apris à V. A. S. que j'ay été prévenu dans cette histoire d'Allemagne. Un jeune homme de Dresde en fait une qu'on imprime. Elle est prête à paraitre en trois volumes, la mienne ne sera qu'en deux. C'est un avantage, mais le plus grand est de paraître sous vos auspices.