à Strasbourg ou tout auprès, 7 septbre [1753]
Mais vraiment monseigneur cela est assez extraordinaire.
Quoy! pour l'œuvre de poésies! Les vers sont donc une belle chose! Je les ay toujours aimez à la folie quand ils sont bons. Mais ma pauvre nièce! qu'allait elle faire dans cette galère? Les gens qui disent que tout cela s'est passé de nos jours ont grand tort. L'avanture est du temps de Denis de Siracuse. Je suis au désespoir de ne vous point faire ma cour. Le temps se passe, et je ne me consolerais pas d'être mort sans avoir eu l'honneur de vous entretenir. Et ce voiage d'Italie, et St Pierre de Rome, et la ville sousterraine, n'aviez vous pas quelque envie de les voir? et ne pourait on pas venir recevoir vos ordres dans le chemin? et n'iriez vous pas faire un tours à Montpellier? Un beau soleil et vous, vous êtes mes dieux. Il serait doux de les voir de près. J'aime ceux qui échauffent et qui éclairent et non pas ceux qui brûlent.
Je joins les sentiments de la plus tendre reconnaissance à un attachement d'environ quarante années, mais j'ay des passions malheureuses et la jouissance de l'objet aimé m'est interditte par ordre du médecin. Si votre belle imagination trouve quelque tournure pour que je puisse bacciar vi la mano quand vous irez à Montpellier ce serait pour moy l'heure du berger. E perche no? Un gran Re m'ha bacciato la mano, a me, si, la brutta mano, per incitar mi a rimanere nel suo palazzo d'Alcina, ed io bacciero la vostra bella mano con un piu grande e saporito piacere. Ah! signore amabile, signore cortese e bravo, la vita si perde, si consuma et la speranza ancora si distrugge. Esce que vous seriez assez bon pour vouloir bien me mettre aux pieds de madame de Pompadour, quand vous n'aurez rien à luy dire? Pardon monseigneur de la liberté grande. Il y a dans Paris force vieilles et illustres catins à qui vous avez fait passer de joyeux moments, mais il n'y en a point qui vous aime plus que moy. Je croi que la première conversation que j'aurais l'honneur d'avoir avec vous serait assez amusante. Non ce serait la seconde, car à force de plaisir je ne saurais ce que je dirais dans la première.
A propos je suis bien malade, daignez vous en souvenir. Il n'y a que mes ennemis qui disent que je me porte bien. In tanto con ogni ossequio etc.
V.