Francfort ce 3e Juillt 1753
Monseigneur,
Les deux Lettres, que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 22 et le 23 du mois passé, me sont bien parvenuës, quoique toutes deux aient retardé, surtout la dernière, qui ne m'a été renduë que hier.
Je hazarde celleci, dans l'espérance Monseigneur qu'elle vous rencontrera encore à Vienne, pour vous informer de la suitte de l'Histoire concernant Mr de V.
Le 20 du mois passé, V. avoit dessein de partir. Il fit louer un Fiacre de Casselles et se rendit entre 5 et 6 heures du soir à l'auberge, où ces fiacres ont coutume de loger. Il se mit avec son secrétaire et un Valet dans la chaise, mais Freytag & Schmid, qui avoient leurs Espions dans et hors le Lion d'or, en furent averti en secret. Schmidt se transporta au plus vite chés l'ancien Bourguemaitre de Fichard, demander prise de Corps sur V. Le Bourguemaitre refusa, faute de Légitimation suffisante, d'accorder cette demande, Schmid promit de produire une Réquisition du Roi dans les formes, et offrit en attendant Caution Bourgeoise de tous ses Biens, que le Bourguemaitre accepta. Voltaire fut là dessus arrêté aux Portes de la ville en en voulant sortir, il demanda d'être conduit chés Schmid, ce qui lui fut accordé. Il y eut de vives Discussions, Schmid poussa V. à bout et V. perdit contenance, et se laissa conduire à la Corne du Bouc, accompagné de plusieurs soldats. Schmid en fit mettre 3 à la porte de sa chambre, 3 à celle de made Denis et 3 à celle du secrétaire, au bas de l'Escalier encore deux autres. Ils ne pouvoient point parler, les uns avec les autres ni avec les domestiques, et F. & S. agissoient despotiquement. Le reste explique le Promemoria ci-joint, que V. a présenté au Magistrat, après que quelques Personnes, détestants la violance exercée contre V. et sa nièce, avoient informé quelques Personnes de la magistrature, qui en firent le Rapport au Conseil et qui opéra, qu'on ôtât d'abord les Gardes à la réserve de deux, qui sans armes se tiennent à la porte de la maison. On travaille actuellement de la part du Magistrat à une information exacte de tout ce qui s'est passé, qui ne sera nullement à l'avantage de Freytag & de Schmid, & détaillera au Roi les violations des deux F. & S.
En attendant le Magistrat a envoié un secrétaire de la Ville, avertir made Denis, de même que le secrétaire, que ce n'étoit point à ces Messieurs, à leur donner les Arrêts, qu'ils étoient en pleine Liberté, et pourroient sortir de la maison ou partir de la ville quand bon leur sembleroit, et que Mr de Volte devroit rester ici jusqu'à ce que le Magistrat auroit reçu la réponse sur le rapport qu'il en feroit au Roi.
Dans ce moment j'apprens que la Lettre au Roy contenant ce rapport, et dressée par le syndic Burg est luë aujourd'hui dans le Conseil, et partira cet après diner.
Je suis curieux d'apprendre l'issuë de cette affaire & ne manquerai pas d'en informer votre Excellence.
V. s'amuse àprésent d'écrire une Histoire d'Allemagne dans le goût du Président Hainault, qui a donné celle de France. Je lui prête les Livres nécessaires.
Si je serai assés heureux que d'apprendre à tems Monseigneur votre arrivée à Mayence, pour pouvoir m'y rendre et vous assurer de bouche des sentiments respectueux que je conserverai le reste de mes jours pour votre illustre Personne, je me flatte que Vous voudrés bien aggréer, que je satisfasse à mon devoir, étant avec ardeur et un zèle irréprochable ainsi qu'avec le plus profond Respect,
Monseigneur,
Votre très humble et très obéisst serviteur
En conséquence de vos ordres j'ai envoié sur le champ la Caisse de Cadix, le Paquet de Mr le Baron de Knebel et une Lettre pour v͞re Excelle qui m'est parvenuë de Gotha, à Mr le Comte de Pergen, m suivre vos ordres avec les 2 1rs pièces et p͞r vous acheminer la Lettre.
Varrentrapp