1749-06-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Votre muse àpropos s'irrite
Contre ce vilain Bestuchef,
Et ce gros bufle moscovite
Qui vouloit nous porter méchef
Est traitté selon son mérite.
Je crois qu'autrefois Apollon,
Avant que d'un trait redoutable
Il perçast le serpent Pithon
Fit contre luy quelque chanson,
Ou quelque épigramme agréable.
De ce Dieu, baucoup vous tenez,
Vous avez ses traits et sa lire,
Vous battez, et vous chansonnez
Les ennemis de votre empire.

Sire on ne peut guères dire des choses plus fortes contre les moscovites ny faire de meilleures plaisanteries sur les médecins que ce que j'ay lu dans les derniers vers que votre majesté a bien voulu m'envoyer.

Bien est il vray qu'il y a toujours quelques petites fautes contre la langue, qui échapent à la rapidité de votre stile, et à la bauté de votre imagination.

Quel est le feu céleste?
Ou quelle ardeur funeste
Embraza ces glaçons?

Mr le maréchal de Belleîle, qui est àprésent l'un de nos quarante, vous dira qu'après ce vers, Quel est le feu céleste?il faudroit un qui, ou bien il vous dira qu'on auroit pu mettre:

Quelle flamme funeste,
Infernale ou céleste
Embraza ces glaçon?

La strophe qui suit est admirable. Mais des critiques sévères vous diront, que La discorde ne vomit guères de tisons. J'examinerois auprès de vous ces grandes beautez et ces petites fautes si je pouvois partir comme votre majesté me L'ordonne, et comme je le souhaitte. Mais ny monsieur Bartenstein, ny mr Bestuchef, tout puissants qui sont, ny même Federic le grand qui les fait trembler ne peuvent àprésent m'empêcher de remplir un devoir que je crois très indispensable. Je ne suis ny faiseur d'enfans, ny médecin, ny sage femme, mais je suis amy, et je ne quitteray pas, même pour votre majesté, une femme qui peut mourir au mois de septembre. Ses couches ont l'air d'être fort dangereuses, mais si elle s'en tire bien, je vous promets sire de venir vous faire ma cour au mois d'octobre. Je tiens toujours pour mon ancienne maxime, que quand vous commandez à une âme, et que cette âme dit à son corps, marche, le corps doit aller, quelque chétif et quelque cacochime qu'il soit. En un mot sire, sain ou malade je m'arrange pour partir en octobre, et pour arriver tout fouré auprès du Salomon du nord, me flattant que dans ce temps là vous n'assiégerez point Petersbourg, que vous aimerez les vers, et que vous me donnerez vos ordres. Je remercie très fort la providence de ce qu'elle ne veut pas que je quitte ce monde avant de m'être mis à vos pieds.

V.