1755-08-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Si les belles lettres qui ont servi de délassement à votre majesté dans ses travaux l'amusent encor, permettez que je mette à vos pieds, et sous votre protection cette tragédie que je commençai chez vous avant d'avoir le malheur de vous quitter.
J'aurais voulu la finir dans votre palais de Potsdam aussi bien que ma vie. Les beautez du lac de Geneve et de la retraitte que j'ay choisie pour mon tombeau sont bien loin de me consoler du malheur de n'être plus auprès de votre majesté.

Je ne peux soulager mon amertume qu'en saisissant les moindres occasions de vous renouveller mes sentiments, ils sont tels qu'ils étaient quand vous avez daigné m'aimer et j'ose croire encor que vous n'êtes pas insensible à l'admiration très sincère d'un homme qui vous a aproché; et dont la douleur extrême est étouffée par le souvenir de vos premières bontez.

Ne pouvant avoir la consolation de me mettre moy même aux pieds de votre majesté, je veux avoir au moins celle de m'entretenir de vous avec milord Maréchal. Je ne suis pas éloigné de luy; et si votre majesté m'en donne la permission, si ma malheureuse santé m'en laisse la force, j'irai luy dire ce que je ne vous dis pas, combien vous êtes au dessus des autres hommes et à quel point j'ai eu la hardiesse et la faiblesse de vous aimer de tout mon cœur. Mais je ne dois parler à votre majesté que de mon profond respect.

V.