1746-01-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Louis Bourgeois.

Les maladies fréquentes qui m'accablent monsieur m'ont empêché de répondre plustôt à l'honneur que vous m'avez fait; et la crainte de vous parler de moy même a retardé encor ma réponse.
Je ne sçais si c'est réparer ou augmenter mon tort que de vous envoyer les deux dernières pièces que j'ay composées pour le téâtre. Peutêtre ne vous donneront elles pas une idée fort avantageuse de l'homme dont vous voulez parler dans votre histoire, mais au moins elles vous feront connaître que l'auteur est plein de reconnaissance pour vous, et qu'il ambitione votre estime. J'y joints une estampe par la quelle vous connaîtrez moins mes traits, que l'honneur que m'a fait madame la marquise du Chastellet, à moy et aux lettres, en faisant graver au bas de ce portrait le beau vers latin que vous y lirez. Je sens combien j'en suis indigne mais le prix de ses bontez en est plus grand. Il n'est point vray Monsieur que je sois né à st Loup, mais j'ay ouï dire que mon grand père y étoit né. A l'égard des anecdotes que vous me demandez je les feray rédiger si vous persistez dans le dessein que vous avez. Je ne vous envoye point d'édition de mes ouvrages parce qu'il n'y en a aucune dont je sois content. Vous verrez même par les élémens de Neuton que je joins à ce paquet combien de fautes j'ay été obligé de faire corriger à la main. Dès qu'il y aura une édition passable de mes ouvrages, je ne manqueray pas d'avoir l'honneur de vous la faire tenir. Mais je suis actuellement si occupé à écrire les campagnes du Roy que je n'ay guère le temps de travailler à une édition.

Ma mauvaise santé d'ailleurs est un obstacle continuel à tout ce que je veux et à ce que je dois faire. S'il se trouvoit cependant monsieur que je fusse en état de vous rendre à Paris quelque petit service, vous verriez qu'alors j'oublierois les maladies qui me persécutent.

Permettez moy d'adresser icy mes respects à l'académie dont vous êtes membre, et de vous assurer monsieur de tous les sentimens avec les quels j'ay l'honneur d'être

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire