1741-07-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Marie François Du Parc, marquis de Locmaria.

J'ai reçu, monsieur, le mémoire des vexations juridiques que vous avez essuyées.
Je suis très sensible à votre souvenir et à vos peines. Du temps d'Anne de Bretagne vous auriez gagné votre procès tout d'une voix. La jurisprudence a changé; il est plaisant qu'on ait raison par delà la Loire et tort en deçà, mais les hommes ne savent pas mieux, et il faut que leur justice se ressente de leur misérable nature.

Recevez aussi mes remerciements sur l'estampe de m. de Maupertuis. Il est beau à vous de songer entre les griffes de la chicane à la gloire de votre ami et de votre compatriote. L'estampe est digne de lui et je me sens bien indigne de joindre mes crayons à ce burin là. Une inscription latine me déplaît parce que je suis bon Français. Je trouve ridicule que nos jetons, nos médailles et nos louis soient latins. En Allemagne, en Angleterre la plupart des devises sont françaises; il n'y a que nous qui n'osions pas parler notre langue dans les occasions où les étrangers la parlent. Je sens très bien qu'il faudrait faire toutes les inscriptions en français, mais aussi cela est trop difficile; la marche de notre langue est trop gênée; notre rime délaye en quatre vers ce qu'un vers latin pourrait facilement exprimer: ni vous ni moi ne serions contents du chétif quatrain que voici:

Ce globe mal connu, qu'il a su mesurer,
Devient un monument où sa gloire se fonde.
Son sort est de fixer la figure du monde,
De lui plaire et de l'éclairer.

Si vous voulez mieux, comme de raison, faites les vers vous même, ou à votre refus qu'il les fasse. Despreaux a bien eu le courage de faire son inscription, il disait modestement de lui même:

Je rassemble en moi Perse, Horace, et Juvénal,

mais c'est que Boileau n'était pas philosophe. J'ose vous prier d'ajouter à vos bontés celle de vouloir bien faire ma cour à made la duchesse d'Aiguillon; quand vous la ferez graver, tout le monde se battra à qui fera l'inscription.

Si vous avez la bonté d'envoyer encore quelques paquets à Bruxelles, ne vous servez point du beau et inutile contreseing de vos secrétaires d'état qui ne le sont pas des Pays Bas. Leur nom ne sert qu'à faire taxer plus haut les paquets honorés de leur contreseing. Votre mémoire par exemple n'a coûté que 43lt de port. Ce que nous disons là n'est que pour le passé, car l'intérêt que l'on prend à votre affaire est trop vif pour compter, mais comme plusieurs personnes étant dans les mêmes préjugés se servent du même moyen pour charger la malle de Bruxelle, on est obligé de vous supplier dorénavant de faire mettre les gros paquets en coche. Ils coûtent vingt fois moins et n'arrivent que deux ou trois jours plus tard.