1751-05-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Georg Conrad Walther.

Mon cher Walter je reçois votre lettre, et vos épreuves et j'y réponds sur le champ.

Je vous renvoye le modèle des deux feuillets qui me paraît le plus convenable. Votre grande attention doit être de mettre plus de choses en moins de volumes qu'aucun de mes éditeurs n'a fait jusqu'àprésent. Le public se rebute d'acheter en douze volumes, ce qu'il peut acheter en huit.

Votre édition nouvelle doit faire tomber touttes les autres par ce qu'elle sera moins volumineuse, plus complette, plus exacte qu'aucune, et qu'elle ne contiendra point de double employ.

La préface historique qu'un homme de baucoup de mérite fait sur des mémoires originaux et qui sera très curieuse et remplie d'anecdotes dont le public est avide, donnera encor à votre édition un grand cours.

Commencez donc sans tarder et surtout ayez un excellent correcteur d'imprimerie qui suive exactement les instructions que je luy envoye au dos du feuillet qui doit servir de modèle.

Ne manquez pas mon cher Walther de me faire tenir le plutôt que vous pourez, une table exacte manuscritte des pièces que chaque volume doit contenir, parce que j'ay quelques pièces curieuses à y ajouter, et quelques unes encor à réformer. J'ay travaillé depuis un mois sans relâche à rendre cette édition moins indigne du public et de la postérité, et plus je travaille, plus vous retirerez de profit de ce qui peut contribuer à mon honneur.

Ce que je vous demande ne retardera en rien votre édition. Vous pouvez toujours commencer la Henriade ou les volumes qui contiennent les tragédies; mais je vous conseille de commencer par la Henriade parce que je n'y changeray certainement rien, et qu'en relisant les pièces de téâtre je peux encor y changer quelque chose, et en ce cas je vous ferais tenir sur le champ les corrections. En un mot je vous aideray en tout; et je ne vous retarderai en rien.

Si vous avez besoin d'argent j'ay mille écus à votre service que je vous prêteray sans intérest, ils sont entre les mains de mon banquier Shwigger, vous n'auriez qu'à vous adresser au banquier Hauman qui ferait son billet à Shuigger, car cet homme ne veut traitter qu'avec des banquiers, et ne recevrait pas d'autre signature. Ainsi donc en cas que vous ayez besoin de cet argent vous n'avez qu'à faire votre billet pur et simple de mille écus à Hauman le quel fera son billet à Shuigger. Je vous répète que je vous préteray ces mille écus pour un an sans intérest.

Le soin que je prends de vous procurer une édition qui vous soit avantageuse a un peu interrompu l'histoire du siècle de Louis 14, mais je vais m'y remettre. Je n'attends qu'un manuscrit qui me vient de France pour achever entièrement cet ouvrage qui est extrêmement avancé.

Pressez vous encor une fois pour votre édition et tâchez d'imprimer au moins sept feuilles par semaine. Vous pouriez même en redoublant les presses et les compositeurs en imprimer quatorze ou 15. Adieu, je vous aiderai de tout mon pouvoir.

Voltaire