1765-12-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gabriel Cramer.

Est-il possible, mon cher ami, que vous me mandiez avoir cru m'envoier ce que vous ne m'avez pas envoié? est-il possible que vous aiez imprimé je ne sais quels fragments d'une Lettre écrite en 1752 dans laquelle on me fait dire précisément le contraire de ce que j'ai dit? On trouve à la page 404,

'C'est ce même abbé de Chateauneuf qui avait été son amant, mais à qui cette célêbre vieille ne donna point ses tristes faveurs à l'âge de soixante et dix ans, comme on a dit eta.'

Celà jure furieusement avec ce qui se trouve au même 3e vol: page 12. Il n'appartient qu'à J: J: Rousseau de se contredire ainsi. Epargnez moi, je vous en prie cet affront, et ne déshonorez pas vôtre édition. Il faut absolument un carton, voicy ce que ce carton doit contenir.

C'est ce même abbé de Chateauneuf qui avait fini son histoire amoureuse, c'est lui à qui cette célêbre vieille fit la plaisanterie de donner ses tristes faveurs à l'âge de soixante et dix ans, eta.

Envoiez moi, je vous en prie, ce carton dès qu'il sera fait.

Envoiez moi aussi l'avertissement que je vous ai donné pour mettre à la tête des trois volumes, et qui m'est absolument nécessaire. Il faut un peu d'éxactitude avec les correcteurs d'imprimerie. Songez que j'ai l'honneur d'être le vôtre depuis onze ans, et que les vieillards sont volontiers minutieux.

Si le vent du nord le permet vous me ferez un plaisir infini de venir causer avec moi dans ma mazure.

Toute réfléxion faitte, je crois qu'il vaudrait beaucoup mieux suprimer ce fragment de Lettre qui dit à peuprés les mêmes choses que La Lettre sur mlle Lenclos qui commence le 3e volume. J'ai dans mon portefeuille de quoi vous vous fournir des choses plus agréables.

Il est bien étrange qu'à la page 400, dans les notes on ait encor laissé les mêmes fautes que j'avais moi même corrigées à la main dans l'édition in 4., feu pour jeu, et vers pour airs.

Vôtre compositeur suisse met par tout refuter au lieu de réfuter, repéter au lieu de répéter, repeter c'est peter deux fois, et répéter, est le repetere des latins.

Voilà ce que c'est que de ne m'envoier jamais les épreuves. Vous ne savez pas le tort que vous vous faittes à vous même. Si vôtre édition in 4. n'est pas mieux soignée elle vous ruinera, et j'en serai au désespoir.

Je vous embrasse de tout mon cœur.