à Cirey le 20e février 1736
V͞s me donnés monsieur une part si flatteuse dans les lettres que v͞s escriués à m͞r de Voltaire que ie veux auoir la mienne dans le plaisir qu'il trouue à v͞s répondre.
Ie suis donc aujourd'huy son secrétaire et le mien. Sa maladie n'est que mon prétexte. Ie comence par le plus intéressant, qui est sa santé. Il a eü un accès de fièvre qui l'a extrêmement abatu mais qui, à ce que i'espère, n'aura pas de suite; v͞s saués qu'il ne se porte pas si bien les hivers que les étés, i'espère qu'auec du régime et vn peu moins d’étude il retrouuera sa santé entièrement.
Il persiste dans le dessein d'offrir vn des deux tableaux que v͞s aués reçus à L'Aulnay, il dit que le moindre seruice même d'un ennemi mérite vne marque de reconoissance. V͞s conoissés son coeür et v͞s saués combien il aime à donner et qu'il ne sait se venger que par des bienfaits. Il crois qu'il faut céder en cette occasion à la bonté de son caractère qui le porte toujours à oublier le mal et à ne se souuenir que du bien. C'est d'ailleurs vn moyen de désarmer Laulnay, de le mettre dans son tort, ou de l'en faire rougir, ce qui est ie crois le plus dificile. Si il n'en vouloit point il v͞s prie de l'enuoyer à m͞r Berger. V͞s le conoissés sans doutte et il est bien aise de lui donner cette marque de son amitié. P͞r l'autre, il comte que v͞s voudrés bien l'accepter. Il v͞s prie de luy mander si v͞s croyés que quelques estampes fissent plaisir à m͞r de la Serre, parceque il lui en enuoyeroit. Il aimeroit mieux m͞r de Fontenelle p͞r aprobateur d'Alzire et du discours qu'ils v͞s adresse, que m͞r de la Serre. Fontenelle est l'ennemy de Rousseau, et il y a dans le discours des choses personnellement flatteuses p͞r Fontenelle, deux raisons qui rendront son aprobation plus sûre.
Ie ne suis pas étonné que v͞s en ayés été content à la première lecture, v͞s le serés encore dauantage à la seconde. Il est plein de cette éloquence vraye et forte qui emporte la persuasion et le respect des lecteurs. I'aime infiniment mieux cela que tout ce que le p͞r et le contre pouroit dire qui d'ailleurs ne pouroit entrer dans des détails nécessaires et qui ne laissent point de réplique. Votre réflexion sur le dieu de Clark et de Neuton est aussy sensée que déshonorante p͞r ceux qui L'ocasionent. Il est dur d’être jugé par de tels gens. Venons à ce qui me regarde. V͞s croyés bien que ie suis aussi honteuse que ie suis flattée de l'honneur qu'il me veut faire de me dédier Alzire. Si ie méritois les louanges qu'il me donne dans cette espitre ie mériterois l'envie que v͞s craignés qu'elle ne m'attire. Ie v͞s auoüe que ie voudrois les retrancher, et ne me point priver du plaisir sensible de receuoir une marque publique de son estime et de son amitié. Ie ne suis point du tout d'auis de la mettre en vers, les vers n'ont point l'air de la vérité et de l'amitié. On a toujours l'air en vers de porter à son imagination et point à son amie. Ie ne veux point être la marquise de trois étoiles. Il v͞s prie et moy aussi de la montrer à m͞rs Dargental et Pondeuelle et il y fera les corrections que v͞s jugerés tous être nécessaire, mais n͞s demandons grâce p͞r la prose.
V. reçoit dans ce moment votre dernière lettre. Il croit et moy aussi qu'on se doit vne fois dans sa vie la consolation de se justifier, il faut terrasser la calomnie et ie crois que c'est enhardir la méchanceté des hommes que de paraitre trop les craindre. Ce n'est point de la déclamation qu'il y opose, c'est de la modestie et des faits. Ie crois que cela ne peut faire qu'un très bon effet. Le tout est que cela soit sage. Ie suis charmée que m. du Chastellet v͞s ait vû. Adieu monsieur, permettez moi de finir sans façon puisque c'est au nom de l'amitié que ie v͞s écris. Laserre aura des estampes, Preuot des complimens. Il prend les parodies [. . .] puisqu'elles méritent, cela est bien digne de Laulnay.