J'ay trouvé monsieur à mon retour à Bruxelles une lettre bien agréable de vous, a la quelle je ne réponds qu'en vile prose, mais, ce que vous ne croirez peutêtre pas, c'est pour avoir plutôt fait.
Je ne sçai si le pays qui est devenu le vôtre est l'ennemy de celuy que le hasard de la naissance a fait le mien, mais je sçai bien que les esprits qui pensent comme vous sont de mon pays, et sont mes vrais amis. Je vous suplie donc monsieur de vouloir bien me donner une marque de votre amitié, en me faisant avoir tout ce qui s'est fait de l'histoire universelle en anglais depuis le chapitre 7 concernant les juifs jusqu'à la captivité de Babylone, le quel finit dans la traduction française par ces mots établit quelque temps après Saül pour être roy d'Israel.
Il n'y a qu'à faire adresser le paquet a Mr Vancleve, banquier à Bruxelles, et tirer sur luy le montant du prix du livre et des frais.
On a imprimé depuis peu à Paris une petite édition de mes ouvrages, sous le titre d'Edition de Genève chez Bousquet. C'est la moins fautive et la plus complette que j'aye encor vu. J'en ferai venir quelques exemplaires et j'aurai l'honneur de vous en envoyer un.
Si quelque libraire de Londres vouloit les réimprimer je luy enverrois un exemplaire corrigé et mis en meilleur ordre, accompagné de pièces assez curieuses qui n'ont point encor paru, et surtout de la tragédie de Mahomet ou du fanatisme. C'est Tartuffe le grand; les fanatiques en ont fait suprimer à Paris les représentations, comme les dévots étouffèrent l'autre Tartuffe dans sa naissance. Cette tragédie est plus faitte je crois pour des têtes anglaises que pour des cœurs français. On l'a trouvée trop hardie à Paris parce qu'elle n'est que forte, et dangereuse parce qu'il y a du vray. J'ay voulu faire voir par cet ouvrage à quels horribles excez le fanatisme peut entraîner des âmes faibles conduites par un fourbe; ma pièce représente sous le nom de Mahomet le prieur des jacobins mettant le poignard à la main de Jacques Clement, encouragé de plus par sa maîtresse, au parricide. On reconoît là, l'auteur de la Henriade, mais il faut que l'auteur de la Henriade soit persécuté, car il aime la vérité et le genre humain. Il n'est permis aux poètes d'être philosophes qu'à Londres.
Je fais mille compliments a mr Nenci dont j'ay aussi reçu une lettre. Adieu monsieur, comptez sur mon attachement et sur ma vive reconnaissance.
à Bruxelles ce 1er septembre 1742.