J'ay fait monsieur un petit voiage qui m'a empêché de répondre plutôt à l'honneur de votre lettre.
Je viens d'aprendre dans le moment qu'on a imprimé Mahomet à Paris sous le nom de Bruxelles. On me mande que cette édition est non seulement incorrecte, mais qu'elle est faitte sur une copie informe qui m'a été dérobée.
Me voylà dans la nécessité d'en faire imprimer la véritable copie. Je seray charmé monsieur de vous l'envoyer, si vous le trouvez bon, mais n'ayant plus icy L'édition de Geneve de mes œuvres je ne pouray vous la faire tenir que quand je seray de retour à Paris. Je vous demande bien pardon de ce contretemps. Je n'ay jamais reçu ny le Votton ny le Pancirole dont vous me parlez, mais j'ay enfin trouvé un Pancirole à Amsterdam. C'est un livre qui ne méritoit pas la peine que je me suis donnée de le chercher. Au reste monsieur le seul mémoire détaillé que j'aye à donner au libraire dont vous voulez bien me parler, c'est qu'il imprime correctement et Mahomet et mes autres ouvrages. Je voudrois bien être monsieur à portée de vous remercier à Londres de vive voix et de jouir d'un entretien où je trouverois l'agréable et l'utile. Je vous prie de vouloir bien recomander aux libraires qui vendent l'histoire universelle d'envoyer les feuilles depuis la captivité de Babylone jusqu'à la dernière, à Mr Jean de Cleves, banquier à Bruxelles, qui en payera le prix. Je suis dans un pays où on ne parle que de cavalerie et de fourages. Tout cela est bien peu philosophe. Un homme sage et instruit est fort au dessus de cinquante mille fous enrégimentez, aussi vous préférai-je à eux. Comptez monsieur sur mon véritable attachement.
V.
à Bruxelles 20 octobre 1742